François Truffaut : autopsie à travers son double Antoine Doinel
“Je veux que mes films donnent l’impression d’avoir été tournés avec 40° de fièvre”, affirmait avec force François Truffaut. Trente ans après la disparition du “plus français des cinéastes français” selon le critique de cinéma Serge Daney, l’œuvre prolifique de François Truffaut – 21 longs métrages – fait toujours office de référence. En témoigna le succès de l’exposition dédiée de la cinémathèque de Paris en 2015. Son personnage Antoine Doinel était-il son double immortalisé pour toujours sur la pellicule ? Partons aujourd’hui en voyage dans le cinéma de François Truffaut avec la saga Doinel !
Antoine Doinel, alter ego de François Truffaut
En 1959, François Truffaut sort son premier opus : “Les 400 coups“. En miroir de sa propre enfance ?
“Antoine Doinel s’est, dès le premier jour de tournage des 400 Coups, éloigné de moi pour se rapprocher de Jean-Pierre”, confiait vivement le cinéaste.
Pourtant, rien n’est moins sûr. Aller à la découverte de ce cinéaste, c’est d’abord laisser son personnage autobiographique Antoine Doinel dévoiler au fil de ses films, toute sa poésie et sa quête amoureuse, en écho au tendre monde intérieur de François Truffaut. Les longues soirées du couvre-feu sont propices au visionnage de la saga Doinel, Pas moins de 5 films tournés sur 20 ans entre 1959 et 1979, avec le même acteur : “Les quatre cents coups” en 1959, “Antoine et Colette” en 1962, “Baisers volés” en 1968, “Domicile conjugal” en 1970 et enfin “L’amour en fuite” en 1978 (comprenant de nombreux Flashbacks).
François Truffaut, une œuvre prolifique
Pionnier de la nouvelle vague, le cinéaste François Truffaut prônait le cinéma “en temps réel” plutôt qu’en studio. Né le 6 février 1932 à Paris, le cinéaste fou amoureux du cinéma fréquentait déjà très jeune le temple du cinéma français : la cinémathèque de Paris. Il deviendra quelques années plus tard très proche de son fondateur, Henri Langlois. Quel est l’héritage culturel laissé par François Truffaut ? Dans l’introduction du “Dictionnaire Truffaut”, Antoine De Baecque et Arnaud Guigue résument son parcours incroyable :
“Truffaut a ainsi traversé l’Histoire, des années 30, ligueuses et populistes, aux années 80, entreprenantes et argentées, de l’Occupation aux années gauchistes, de la Libération à Mai 68, de la Guerre Froide à l’affaire Langlois, de ses années hussardes à son antigaullisme, tout en multipliant ses propres histoires : vingt et un longs métrages, quatre courts métrages, deux nouvelles, une douzaine de livres, plus d’un millier d’articles de journaux et de revues, soit une comédie de près d’une centaine de personnages marquants.”
“Les 400 Coups”, le miroir d’une enfance houleuse ?
Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1959, le public est au rendez-vous des “400 coups” avec 3,6 millions d’entrées. Le cinéaste y met en scène l’acteur adolescent Jean-Pierre Léaud, trouvé grâce à une simple annonce publiée dans le journal France Soir. Mais l’enfance du cinéaste de la nouvelle vague est bien la source d’inspiration majeure de cette œuvre. Comme Doinel, François Truffaut a grandi dans le secret de sa filiation (le dentiste Roland Lévy retrouvé en 1968 par un détective). À l’adolescence, il habite avec ses parents dans un deux-pièces, son lit placé dans un couloir, tout comme son personnage. Ses parents n’hésitent pas à le laisser tout seul le week-end. Autre point commun, François Truffaut est aussi fasciné qu’Antoine Doinel par Balzac et son roman “La Recherche de l’absolu”.
Une jeunesse marquée par le cinéma
Depuis toujours, le cinéaste souffre de voir sa mère distante. C’est peu dire quand on sait que Jeanine de Monferrand cacha sa grossesse et plaça très vite son enfant en nourrice. Seulement un an plus tard fin 1933, elle épouse Roland Truffaut, qui reconnaît le petit François comme son fils. Dès ses sept ans, François Truffaut fréquente assidûment le cinéma, parfois même au lieu d’aller à l’école.
“Mes 200 premiers films, je les ai vus en état de clandestinité, à la faveur de l’école buissonnière, ou en entrant dans la salle sans payer”, écrira-t-il une fois adulte.
C’est dans la pénombre des salles obscures qu’il tombe amoureux des films de Renoir, Welles, Guitry, Cocteau, Rosselini, Lubitsch, Chaplin et Hitchcock. Le jeune adolescent est loin de se douter qu’il deviendra, un jour, ami avec le cinéaste Hitchcock, avec qui il conversera par télégrammes. En attendant, le jeune garçon lit inlassablement les critiques de cinéma dans la presse, dont il fait la collection avec passion.
Une adolescence tourmentée
Autre point commun avec son personnage Antoine Doinel : ses petits boulots. Après avoir arrêté ses études à 14 ans, le jeune homme se met à gagner sa vie en occupant des postes très variés : magasinier, soudeur, coursier…Ces expériences lui inspireront les métiers plus loufoques les uns que les autres d’Antoine Doinel, nécessitant des taches absurdes empreintes de poésie. Citons-les dans un joli pêle-mêle : construction de disques vinyle et leurs mises dans des pochettes, veilleur de nuit dans un hôtel, détective privé dans un magasin de chaussures aux boîtes vides, dépanneur de télévisions qui marchent, coloriste de fleurs à la recherche du “rouge parfait” ou encore conducteur de bateaux miniatures télécommandés sur un plan d’eau… Dans sa “vraie vie'”, le jeune cinéaste s’inscrit à plusieurs ciné-clubs et fait une rencontre capitale avec le critique de cinéma André Bazin, qui l’encourage à ouvrir son propre ciné-club en 1948. Mais une mésaventure l’envoie bientôt pour cinq mois au Centre d’observation des délinquants mineurs de Villejuif, tout comme Antoine Doinel dans le film “Les 400 coups”.
De la critique de films à “faire du cinéma”
À sa sortie de la maison de redressement en 1949, le fidèle André Bazin, fait figure de père spirituel. Il parvient même à l’embaucher à la section cinématographique de l’organisation de gauche Travail et Culture. Truffaut devient ainsi dès ses 18 ans critique de cinéma. En 1951, une déception amoureuse lui inspirera le personnage de Colette dans son court métrage “Antoine et Colette“, tourné en 1962. La même année, il s’engage dans l’armée en pleine guerre d’Indochine. Envoyé en Allemagne, il fait de la prison militaire pour désertion, suite au prolongement illégal d’une permission à Paris. Heureusement, André Bazin intervient et parvient à le faire réformer de l’armée pour “instabilité caractérielle”. À partir de 1953, Truffaut devient collaborateur régulier des “Cahiers du cinéma” et de la revue “Arts“. Il apprend à “faire du cinéma” sur le tas, en écrivant des critiques et en observant à la loupe tous les films qui lui tombent sous le nez.
La vie amoureuse tumultueuse de Truffaut / Doinel
C’est dans L’Express du 3 octobre 1957 que la journaliste Françoise Giroud évoque pour la première fois la “Nouvelle vague” du cinéma français, à l’occasion d’une enquête sociologique sur les phénomènes de génération. Elle associe déjà le jeune cinéaste de 25 ans aux grands cinéastes Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette et Éric Rohmer. François Truffaut se marie en 1957 avec Madeleine Morgenstern, fille du propriétaire de la société de distribution cinématographique Cocinor. Sa relation avec Madeleine et sa belle-famille bourgeoise lui inspirera les trois derniers films de sa saga Doinel : “Baisers volés“, “Domicile conjugal” (1 million de spectateurs), et “L’amour en fuite” (430 000 entrées). Cette dernière œuvre met en scène le divorce d’Antoine Doinel, qui comme François Truffaut divorce après cinq ans de mariage. Aidé matériellement par son beau-père malgré son divorce, Truffaut devient réalisateur de films. Il crée la société de production “Les Films du Carrosse”, en hommage à Jean Renoir et son film “Le Carrosse d’or” sorti en 1952, qu’il revoit religieusement avec affection plusieurs fois par an.
Musique et écriture au centre de la saga Doinel
Tout comme François Truffaut, la musique et l’écriture occupent une place majeure dans la vie du personnage d’Antoine Doinel. Il rencontre son premier amour, Colette, à une séance des Jeunesses Musicales auxquelles il est abonné depuis qu’il gagne sa vie. Puis il se marie avec Christine, professeur de violon. Enfant, Doinel lit Balzac et met malencontreusement le feu à un stand qu’il avait dédié à l’écrivain idolâtré. Et le film “Baisers volés” s’inspire du roman “Le Lys dans la vallée” de Balzac. Loufoquerie du cinéaste, Doinel alors trentenaire publie un roman s’inspirant de sa vie amoureuse mouvementée : “Les salades de l’amour“.
Une richesse romanesque inaltérée
Vous l’aurez compris, François Truffaut est un génial inventeur d’histoires et de personnages, qui se savourent dans le temps, à l’image du mythique Antoine Doinel. Même si le cinéaste ne le reconnaissait pas, ce personnage était bien son double de cinéma, quelque peu romancé. C’est sûr, la sage Doinel est un moment de cinéma délicieux et inoubliable. Mais vous pouvez aussi piocher, au choix, dans ses nombreux films romanesques le plus souvent centrés souvent sur des femmes charismatiques.
Laissez-vous tenter par ses adaptations de romans anglo-saxons parmi lesquels : “Tirez sur le pianiste”, “Jules et Jim” et “L’Homme qui aimait les femmes”. Dans ce dernier film, le personnage principal, Bertrand, s’exclame : “Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie”. Une myriade d’autres films valent également le détour comme “La Sirène du Mississipi” avec Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo, “L’Enfant sauvage”, “Une belle fille comme moi”, “La Nuit américaine”, “L’Histoire d’Adèle H”, “L’Argent de poche”, “Le Dernier Métro”, “La Femme d’à côté” ou encore “Vivement dimanche !”…
De nombreux trésors subsistent au sujet de ce cinéaste accompli, mort prématurément à l’âge de 52 ans. Les fans espèrent un jour pouvoir jeter un œil sur son abondante correspondance. Qui sait, ses très nombreuses lettres d’amour seront peut-être un jour exposées au grand public à la Cinémathèque de paris !
Visuels : ©Creatives Commons