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[Critique] “D’acier” de Stefano Mordidini : cinéma et poésie à l’italienne
D’acier sort dans les salles françaises le 5 juin : un film de Stefano Mordini inspiré du roman homonyme de Silvia Avallone, sorti en 2010 et traduit en français par Liana Levi. En 2011 le roman a reçu en France le Prix des lecteurs de l’Express et un an après Stefano Mordini présentait son long métrage à la Mostra de Venise.
Anna et Francesca sont deux jeunes filles qui vivent l’une à coté de l’autre leur adolescence, la découverte de la beauté de leurs corps et les premiers pas vers leurs futurs de femmes. Le scénario est celui de Piombino, un village toscan sur la mer Tyrrhénienne connu surtout pour l’aciérie Lucchini qui donne du travail à une nombreuse communauté ouvrière. Alessio, le grand frère de Anna, est très tôt obligé de recouvrir le rôle du chef de famille, après le départ de son père et face aux difficultés économiques de la mère : il travaille à la Lucchini et il subvient aux besoins de la famille, tout en cachant des petites activités clandestines qui l’aident à gagner plus d’argent pour sa mère et sa sœur.
Anna et Francesca vivent dans ce monde ensoleillé et plein de contradictions avec l’inconscience heureuse de l’enfance, mais aussi troublées par les premiers questionnements radicaux qui caractérisent l’adolescence. Stefano Mordini nous présente la réalité de Piombino à travers le regard de ces jeunes filles, à la frontière entre plusieurs univers, celui de l’enfance et celui de l’âge adulte, celui de la dure réalité de l’usine, personnifiée par la figure de Alessio, et celui de la mer qui permet de rêver d’un ailleurs. Mais un jour quelque chose change entre les amies : Anna commence à sortir avec un garçon, alors que Francesca venait de découvrir son attraction pour elle, sa meilleure amie et seule source de bonheur de sa vie, alourdie par l’incapacité des parents de faire face à ses demandes d’adolescente. Le temps du film s’écoule lentement et sans élans d’énergie, l’été semble durer longtemps, dans une atmosphère chaleureuse et crispée en même temps. Si un manque de pointes d’intensité, dans les dialogues souvent décevants entre les personnages, peut représenter une limite du film, sa force se cache sans doute dans la poésie des images et des atmosphères.
Tous les films qui naissent à partir d’un roman doivent accepter le défi de transformer la puissance évocatrice de la littérature en images : gagner en expressivité tout en acceptant de perdre la force de l’évocation des mots, qui laissent imaginer mais qui ne donnent jamais directement à voir. Stefano Mordini se charge de ce défi et nous donne un exemple d’un cinéma italien typiquement contemporain : lyrique et déçu, éternellement nostalgique mais encore assoiffé d’illusions. L’on pourrait peut-être lui reprocher d’avoir traité superficiellement le portrait social de la société représentée, aspect beaucoup plus approfondi dans le roman : le film nous fait juste entrevoir les drames économiques et moraux qui existent dans toutes les provinces italiennes, les conséquences des conditions de travail souvent contraignantes et malsaines.
En revanche D’acier nous fait gouter la vraie vie de la province italienne et ses contradictions, ainsi que le parfum du sel des cheveux de Anna et l’accent toscan, qui enracinent les personnages à une géographie à laquelle ils ressemblent. Il nous fait sentir aussi le drame de l’abandon et l’expérience de la “parte”, dans le regard de deux adolescentes, partagées entre un présent dur mais sensuel et un futur qui semble toujours se construire ailleurs.
Visuel (c) : affiche du film