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“Chili, un éveil contrarié ?” à la Cinémathèque du Documentaire : état des lieux d’une année de soulèvements, en attendant le Oui

“Chili, un éveil contrarié ?” à la Cinémathèque du Documentaire : état des lieux d’une année de soulèvements, en attendant le Oui

26 October 2020 | PAR Geoffrey Nabavian

Dans le cadre du cycle Chili, cinéma obstiné, qui continue jusqu’au 18 décembre à la Cinémathèque du Documentaire, cette séance du 25 octobre spécialement destinée à accompagner le référendum qui se tenait à Santiago a offert aux spectateurs, venus nombreux, une fenêtre exceptionnelle sur une année de luttes politiques, conduites par les citoyens chiliens, et ayant mené au vote (et au « Oui » au changement de Constitution, passé massivement). Dans la salle de projection dédiée du Centre Georges Pompidou, les films courts inédits montrés ont constitué des instants rares.

En ce 25 octobre, alors qu’à Paris, un public nombreux se réunit dans l’une des salles de projection du Centre Georges Pompidou, la population chilienne vote pour l’abrogation de la Constitution de 1980, adoptée sous Pinochet. Un acte qui constitue le point d’orgue d’une longue période de contestation sociale, et de soulèvements opérés avec force par les citoyens, à partir de l’automne 2019. Dans le cadre du cycle Chili, cinéma obstiné organisé par la Cinémathèque du Documentaire, qui donne à traverser jusqu’au 18 décembre un demi-siècle d’images ayant cadré la réalité du pays, se tient la séance “Chili, un éveil contrarié ? », destinée à donner un aperçu de l’année de révoltes ayant secoué cette nation et ceux qui la dirigent actuellement, depuis les débuts de ce mouvement pour plus de justice sociale à la mi-octobre 2019. Une séance ayant aussi pour but de coïncider avec le référendum.

Harry Bos, programmateur du cycle Chili, cinéma obstiné (notre interview ici), est pour l’occasion entouré sur scène de Pamela Varela – réalisatrice de films documentaires et co-créatrice de l’association CineChilex, destinée à diffuser des travaux cinématographiques tournés aujourd’hui au Chili, et à créer des ponts entre les cinéastes vivant au pays et ceux installés en France – Christian Borghino, du Festival Cinéma du réel – dont l’édition 2020, hélas annulée, aurait dû inclure au sein de sa programmation cette séance, en section “Fronts populaires” – et de la cinéaste, documentariste et auteure Carmen Castillo.

Pamela Varela commence par rappeler la quantité d’images filmées ayant été issues de ce mouvement de contestation, qui a débuté à l’automne 2019 suite à la hausse du prix du ticket de métro, et a amené, à force d’obstination, la tenue d’un référendum un an plus tard, au final. Elle salue les collectifs artistiques à l’œuvre pendant cette période, et leur travail, affirmant aussi que “de ce soulèvement est venue une nouvelle idée du peuple, au sein du Chili, pays actuellement ultralibéral” : Ojo Chile, dont les membres captaient entre autres des images du réel et visionnaient ensuite chaque jour ce que la télévision disait des événements à titre de comparaison, Registro Callejero, MAFI (Mapa filmico de un Pais), ou La Escuela popular de Cine, qui a par exemple pris le parti de donner des caméras à des citoyens chiliens afin qu’ils enregistrent ce à quoi ils étaient confrontés, par eux-mêmes. En ce jour de vote, tous ceux qui ont filmé cette année écoulée au sein du pays sont donc à l’origine d’un grand nombre de témoignages, de natures cinématographiques très différentes, quant à ce moment historique.

Pamela Varela définit ainsi ceux qui ont travaillé intensivement à enregistrer des traces de cette réalité : “ils ont été à la fois réalisateurs, et acteurs de ce qu’ils filmaient, et en même temps décidés à vouloir aussi transmettre un point de vue sur les événements auxquels ils assistaient, via leurs façons de tourner ». “On est aujourd’hui loin des tristes soubresauts de 1973, car ce mouvement de contestation d’un an, on peut le voir en détails, tout de suite, et depuis d’autres pays », poursuit-elle. “Mais il faut aussi mettre ces images “à distance” pour pouvoir un peu les analyser, obtenir du recul sur elles” : d’où la tenue d’une telle séance, un an après le début des faits. “Ce sont de ces instants tournés qu’émergera la nouvelle grammaire permettant de dire, de formuler en un film cet instant historique vécu par le Chili“, ajoute Carmen Castillo, célèbre documentariste, également présente.

Les films présentés : aperçu d’espoirs très forts

Quarante-cinq minutes d’images, témoignant de ce soulèvement sous des aspects très divers, sont données à voir au public, venu nombreux en ce 25 octobre remplir la salle de projection dédiée du Centre Georges Pompidou. “C’est très impressionnant de constater qu’à partir d’une seule projection, durant moins d’une heure, on peut rendre compte d’autant de faits politiques, aussi vite“, précise Pamela Varela, qui a effectué et supervisé une bonne part du travail de sélection et de sous-titrage devant mener ces courts très récents à être montrés. “Au début des manifestations, on nous a envoyé beaucoup de films courts tout juste tournés au Chili, en nous demandant de les garder, et de les archiver“, poursuit-elle. Un ensemble de travaux qui doivent donner à voir “un cri pour l’égalité, et non pas contre l’inégalité“, selon Carmen Castillo : “au début de ce soulèvement, la fraternité, semblable à celle des mille jours d’Allende, s’est redéployée, les Chiliens sont redevenus un peuple, c’est cela qui était dans la rue, et qui a amené la classe dirigeante à devenir une classe dominante ; avec le mot “organisation” répandu en prime dans toutes les conversations“.

Sont montrés Las Manas, du collectif CCPCH, court sans paroles au sein duquel les mains des citoyens, se livrant à des actions de protestation en pleine rue – on y voit notamment les grilles du métro forcées par la foule – ou s’élevant en l’air toutes ensemble en signe de contestation, sont prises pour sujet, avec en miroir les mains des hommes politiques et les gestes qu’elles effectuent. Ou Primavera Lacrimogena, de Pablo Carrasco et Alvaro Sierro, suite de plans fixes pris de très haut qui cartographient de manière saisissante tout le déroulement d’une manifestation, avec à l’image toutes les forces en présence, et des plans d’ouverture et de clôture qui se répondent, et montrent tous deux une fenêtre dans laquelle se reflète l’action politique qui a lieu à l’extérieur.

20 octubre 2019, de La Escuela popular de Cine, laisse la parole aux habitants révoltés d’un quartier – qui s’offusquent notamment de la disparition, puis du retour soudain suite aux manifestations, de l’eau chez eux – au fil de plans où circule une belle énergie. Les images de la contestation des indiens Mapuche, à Temuco le 26 octobre 2019, sont données à voir, captées par le collectif Registro Callejero. La Trilogia de la pandemia, conçue par le Delight Lab, affiche sa forme expérimentale, destinée à contourner la censure. Et Chile desperto, d’Arturo Quezada Torres, s’affirme comme une belle œuvre d’art imaginée par ordinateur, militant à coups de figures colorées pour le changement de Constitution.

Sans compter une courte capsule vidéo avec musique electro, destinée à montrer l’usage intensif des lasers par le peuple manifestant. Et l’”image pour dénoncer la violation des droits de l’homme“, donnée à voir par Andrea Catalina Gana Munoz et German Octavio Gana Munoz. Ainsi qu’un montage de photos montrant une action politique précise : des mots projetés, à la verticale et en format immense, sur une haute tour la nuit.

Et en guise de conclusion pour cette suite de films projetés, des messages enregistrés par des mères de jeunes détenus, risquant pour certains de lourdes condamnations. Ultime note de ce programme, l’appel de Cecilia, mère d’un jeune globe-trotter argentin en prison au Chili actuellement, sonne, sans images pour l’accompagner, avec juste un écran noir face aux spectateurs.

On pourra rester marqué, aussi, par les formes brillantes que certains de ces travaux affichent au final, tel #SansMédias/Sans peur de Natalia Pinela, qui capte une suite de collages faits par les contestataires sur les murs, et éclaire par ses saillies engagées telles que “nous savons qui détient les journaux et la télé dans notre pays” ou “la presse ne montre pas les manifestations“. Et restent aussi en tête les images filmées de nuit composant le film court 7 février 2020, Antfogasto/Chile, de Jorge Donoso, au sein duquel toute l’action engagée d’un grand groupe de jeunes gens, allant notamment coller des affiches contre le président Pinera, et la répression qui s’ensuit, entraînant des combats violents, se trouvent détaillées, avec une maestria toute involontaire.

Sur place au Chili entre janvier et mars 2020, et présent également lors de la séance, l’auteur d’une série audio consacrée aux événements – et diffusée sur le site de la Cinémathèque du Documentaire à l’occasion du cycle Chili, cinéma obstiné – rapporte que ce mouvement de contestation a aussi amené des chiliens à connaître davantage les lois mises en place sous la dictature de Pinochet, période sur laquelle une chape de plomb résistante pèse encore. “Nous ne reviendrons pas en arrière, pas avant ce mois d’octobre 2019“, lui affirment ses contacts sur place, quand il leur écrit à présent. Le lendemain de ce jour de référendum, et de projection à Paris, paraît lui donner raison de par les perspectives qu’il ouvre : le « Oui » au changement de Constitution est arrivé massivement en tête.

Le cycle Chili, cinéma obstiné continue jusqu’au 18 décembre à la Cinémathèque du Documentaire, à Paris.

Visuel : ©Nelson Quiroz, Chile Today

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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