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Cannes, compétition : Jimmy P., Desplechin anthropologue atteint des sommets avec Benicio del Toro et Matthieu Almalric

Cannes, compétition : Jimmy P., Desplechin anthropologue atteint des sommets avec Benicio del Toro et Matthieu Almalric

18 May 2013 | PAR Yaël Hirsch

L’adaptation de la monographie de l’ethnopsychanalyste Georges Devereux, “Psychothérapie d’un Indien des Plaines” par Arnaud Desplechin a fasciné (et cultivé) la presse cannoise, ce samedi 18 mai. Un très grand film, qui reste “français” malgré un tournage dans les grands espaces du Nouveau Monde.

Jimmy Picard (ou dans sa langue « Celui dont tout le monde parle ») est indien (native-american), vétéran de la Seconde Guerre et sujet à de terribles maux de tête. Envoyé par sa sœur dans un hôpital militaire spécialisé sur le cerveau à Topeka, il passe une batterie de tests, mais ses troubles ne sont pas physiques. Le directeur de l’hôpital fait alors venir de New-York un anthropologue spécialiste d’une tribu indienne proche de celle de Jimmy et adepte de la psychanalyse, Georges Devereux, pour tenter de soigner ce patient aux maux difficiles à classer.. Travaillant exclusivement avec Jimmy, Georges Devereux écrit le reste de la journée ses commentaires sur un patient qui le fascine et dont il respecte les valeurs et les traditions.

Habitué de la compétition, silencieux depuis l’intime « Un conte de Noël » (2008), Arnaud Desplechin sait aussi sortir du petit cocon intime et quotidien qu’il aime à disséquer depuis « Comment je me suis disputé », ce qu’il a prouvé avec Esther Kahn (2000). Film d’ « époque » qui résonne encore, “Jimmy P.” est un condensé d’intelligence formelle et de subtilité. De fait, ne serait-ce l’accent et la nervosité un peu forcés de Mathieu Amalric, le film réussit si bien son effet de réel de par ses couleurs mates et ses dialogues bien qu’on dirait presque un quasi-documentaire. Restent en filigrane certains thèmes forts où Desplechin oriente le ressenti : d’abord la question des frontières de la psychanalyse, assez bien signifiée par la non-différenciation entre les rêves de Jimmy P. et la réalité d’une rencontre exclusive thérapeute/patient dans un cadre hors du temps ; ensuite celle de la responsabilité des américains à l’égard de la situation des indiens est posée mais subtilement ; enfin, il y a dans ce film comme presque toujours chez le réalisateur depuis « La sentinelle » la question d’une identité juive masquée à travers le personnage de Devereux, qui étudie avec attention les rites les plus anciens des Mohaves et des Black Foot pour inventer un cadre de soins nouveau tenant compte du contexte culturel dans lequel maturent les individus, l’ethnopsychiatrie, et qui pourtant change de nom et de sujet de conversation quand on lui rappelle ses origines juives-hongroises. Un film à la fois très modeste et très fort, où tout se passe dans un cadre viril et dépourvu de langue de bois et qui doit beaucoup à l’interprétation des deux acteurs, notamment Benicio del Toro, très impressionnant. Nous espérons vraiment que le film sera récompensé et vous annonçons que vous pourrez le voir, à partir du 11 septembre partout en France

JIMMY P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) de Arnaud Desplechin, d’après le livre “Psychothérapie d’un Indien des Plaines” de Georges Devereux (Fayard),avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee, Larry Pine, France, 2013, Why not production. Sélection officielle, en compétition du 66ème festival de Cannes.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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