
Cannes 2019, Compétition : “It must be heaven”, film en demi-teinte d’Elia Suleiman
Si l’art des chorégraphies et du burlesque du réalisateur palestinien est bien là, dans It must be heaven, les symboles convoqués et le fond du film laissent parfois le spectateur sur sa faim.
Dans It must be heaven, une fois encore, le réalisateur Elia Suleiman revient derrière et devant la caméra, et convoque à nouveau en tant qu’acteur son personnage impassible à la Buster Keaton, très remarqué dans Intervention divine et Le Temps qu’il reste. Cet éternel observateur au visage burlesque est ici de retour, un peu vieilli. On le suit, au début, en Palestine : si le temps est lumineux, les rues sont vides, les groupes de jeunes armés de barres de fer courent, et certains paraissent sous pression, tels ces deux hommes au restaurant qui reprochent au serveur d’avoir amené du vin à leur soeur. Toutes ses séquences sont filmées sur un mode tragi-comique, avec des mouvements millimétrés et des expressions un peu exagérées inscrites sur les visages.
Le personnage s’envole ensuite pour Paris. Là-bas, les rues sont tout aussi vides, certains y courent comme des traqués ou des bandits, et notre protagoniste principal croit voir et entendre des avions de guerre passer au-dessus des monuments. Il s’occupe aussi à ce qui semble être le but de son séjour en France : arriver à vendre un projet de film. Vient ensuite le temps, pour lui, de partir aux Etats-Unis, afin d’intervenir dans une école de réalisation. Là-bas, la Palestine semble toujours là pour lui, mais sous des formes différentes, cette fois : un chauffeur de taxi s’extasie avec des “je n’en avais jamais vu !” lorsqu’il lui explique qu’il est palestinien, et dans un parc, une jeune femme commet un attentat à la pudeur, en rapport avec la Palestine, et se trouve coursée par les policiers.
Originalité et sens qu’on ne ressent pas toujours
Dans ce nouveau film, il semble qu’Elia Suleiman veuille suggérer que la Palestine le suit, et le hante quasiment, où qu’il vive. Le ressenti qu’il a d’elle apparaît plutôt violent. On perçoit ce thème, davantage que celui de la difficulté de l’exil. Et ce qui est sûr, c’est qu’Elia Suleiman est doté d’une personnalité de réalisateur passionnante : ses scènes demeurent quasiment toutes marquées par un oeil de cinéaste (un oeil sur l’existence tout court, en fait) et par une maîtrise technique plus à prouver.
C’est donc d’humour avec arrière-plan triste, et de symbolique, qu’il est question ici. On suit d’abord la suite de scènes offertes avec une curiosité amusée, tant elles sont originales. D’emblée, on comprend que la Palestine ne lâche pas le personnage, à l’étranger. Le sens de ces scènes apparaît parfois comme ouvert, ce qui n’est pas mal. Mais certains des symboles ensuite, qui semblent parfois plus soulignés que les autres, ne sont pas évidents à saisir, et devant certaines séquences plus tardives qui paraissent ouvertement chargées en symbolique, on finit par chercher de la signification à toute force, puis par ne plus trop savoir que penser.
Alors que ses séquences chorégraphiées tragi-comiques intriguent beaucoup, au départ, le film finit ainsi par tourner un peu à vide, et ne plus toucher, d’autant plus qu’on peut avoir l’impression que des clés nous manquent, pour comprendre parfaitement la dernière scène, par exemple. On repense alors à la séquence introductive, scène de procession apparemment chrétienne, dont le message semble être que la croyance n’amène pas à l’homme le Paradis (le “heaven” du titre) : il faut qu’il aille le chercher avec ses poings, et qu’il mette à plat les obstacles pour en ouvrir les portes. Comment interpréter cela, vis-à-vis du reste du film ? Juste avec un ressenti personnel ? Du même coup, on a l’impression que la réflexion du réalisateur se perd…
Geoffrey Nabavian
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Visuel : © Le Pacte