Cannes 2019, Compétition : “Le Traître”, un Bellocchio à la forme classique qui manque de finesse
Dans ce film biographique sur Tommaso Buscetta, grand mafieux de Sicile qui “se mit à table”, le réalisateur du Saut dans le vide et de Vincere signe des images trop sombres, et apparaît un peu en mal de maîtrise côté effets.
Dans Le Traître, le célèbre Tommaso Buscetta est interprété par Pierfrancesco Favino (remarqué dans Juste un baiser puis confirmé grâce à Romanzo criminale). Sanguin, carré, massif, l’acteur impose une présence sauvage. Terriblement sûr de ce qu’il veut, s’exprimant dans certaines scènes-clés avec une voix calme et tranchante, en laissant du temps couler entre ses répliques, il n’en reste pas moins vulnérable, à l’écran. Le jeu physique de son interprète lui confère un côté usé, fatigué. C’est là là qualité du nouveau film de Marco Bellocchio : donner à rencontrer des figures évoluant au sein de la Cosa Nostra, mafia sicilienne, incarnées par des acteurs poussés à bout, à vif, dans leur jeu physique (tels les fils du protagoniste principal, présents dans le début du récit et perdus dans leur existence, donc menacés). Les enjeux se ressentent donc. Et l’ambivalence existe, à l’écran, entre le caractère dangereux de ces hommes et leur humanité fragile, tout de même.
Des choix de réalisation qui ne suivent pas
Les partis-pris adoptés par Marco Bellocchio pour la composition de ses scènes ne suivent cependant pas : le film demeure nimbé d’une photographie sombre, qui obscurcit les séquences, ne suggère pas grand-chose et reste peu esthétique. Et alors que la manière dont les interprètes campent leurs personnages sait, à elle seule, suggérer des sentiments, certaines séquences, bien trop chargées en musique et en effets esthétiques, s’invitent dans le récit pour souligner à outrance les états que les protagonistes traversent.
Ce film qui conte une trahison à grande échelle – le célèbre mafieux Buschetta, arrêté dans sa cache brésilienne et acculé souterrainement par ses adversaires, collabora en effet avec la justice italienne contre son camp – ressemble donc bien vite à d’autres films de mafia et de procès criminels. En choisissant des effets peu fins – ralentis, comptes à rebours en surimpression… – la réalisation convoque peur et tension en surface. Mais quant à la faire vraiment ressentir au spectateur, ensuite, c’est plus difficile …
Geoffrey Nabavian
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Visuel : © Ad Vitam