Cinema
Cannes 2019, compétition : avec “Bacurau”, le Brésil qui résiste prouve qu’il existe

Cannes 2019, compétition : avec “Bacurau”, le Brésil qui résiste prouve qu’il existe

17 May 2019 | PAR Alexis Duval

On l’attendait de pied ferme : en compétition de la sélection officielle, le troisième long-métrage de Kleber Mendonça Filho, coréalisé avec Juliano Dornelles, est une claque transgressive, aussi inquiétante que réjouissante.

Dans le Nordeste brésilien, Bacurau, une centaine d’âmes, est en deuil. Pour la mort de la matriarche Carmelita, tout le monde est venu. Teresa, elle, a fait la route depuis la ville pour rejoindre ses proches. Dans sa valise, des vaccins. Le village est de plus en plus isolé, au point que sa localisation a disparu des cartes par satellite. Car Bacurau se situe juste à côté d’un barrage dont les habitants réprouvent la construction. Une série d’événements de plus en plus morbides vont venir perturber un peu plus la paisible communauté…

“- Comment appelle-t-on les habitants de Bacurau ? – Des gens.” Ce dialogue, extrait du long-métrage du Brésilien Kleber Mendonça Filho et de Juliano Dornelles, dit beaucoup de l’incommensurable humanité qui transpire de Bacurau. Présenté mercredi 15 mai en compétition de la sélection officielle au 72e Festival de Cannes, le film est à la fois un drame social, une dystopie, un pamphlet écologiste, une parabole sous acide, un western… et un slasher. Il bouleverse les genres, et les transgresse avec une allégresse et une virtuosité déconcertantes.

Les Bruits de Recife comme Aquarius, les deux fabuleux longs-métrages précédents de Kleber Mendonça Filho, étaient tournés en milieu urbain, le premier dans un quartier, le deuxième dans un immeuble. Les deux prenaient comme cadre Recife, la cinquième ville du pays. Avec Bacurau, changement d’échelle et de zone géographique : le film se déroule dans le Nordeste, dans la région semi-désertique du sertão. Le sertão, c’est l’arrière-pays brésilien, un territoire aride où l’eau manque. C’est d’ailleurs l’un des enjeux du film. 

Combat à la David contre Goliath

Comment une petite communauté peut faire face au rouleau-compresseur du capitalisme, qui considère l’eau comme une ressource exploitable à l’envi ? C’est une des questions de fond, notamment incarnées par le projet de barrage, que pose le film. Bacurau, c’est finalement le symbole du Brésil d’aujourd’hui. Dirigé depuis début 2019 par un ancien militaire, Jair Bolsonaro, le pays est en proie à une corruption endémique. Alors quand ce petit village ne demande qu’à exister sans faire de mal à qui que ce soit, c’est une sorte de combat à la David contre Goliath que ses habitants entreprennent de mener.

Dans l’adversité la plus folle, les querelles intestines se dissipent. Ainsi Sônia Braga, l’immense actrice brésilienne que Kleber Mendonça Filho avait déjà brillamment dirigée dans Aquarius, joue ici une femme qu’on dirait rongée par les remords mais qui, face aux menaces, se révèle dans tout son courage et sa grandeur d’âme. C’est peut-être ça, le fil qui tend les trois films du cinéaste : cette solidarité dans le désespoir de causes en apparence perdues.

Gal Costa, Geraldo Vandré et John Carpenter convoqués

Avec la voix inoubliable de Gal Costa, dont la chanson Não identificado transcende le générique de début et pose les bases programmatiques de la suite du film, le doute n’est pas permis. Bacurau, avec son nom dont les sonorités rappellent bacalhau, la morue en portugais, est un film éminemment brésilien. Nelson Ferreira, Geraldo Vandré sont aussi convoqués. Mais aussi (rien à voir avec le Brésil a priori) John Carpenter, qu’on connaît surtout comme cinéaste mais qui est aussi compositeur. On lui doit notamment l’inquiétant Night, aux lignes de basse répétitives hypnotiques.

Protéiforme, transgenre, truffé de clins d’œil, Bacurau pioche et puise un peu dans tous les domaines, tous les registres. Ici, pas de table rase, mais une innutrition qui touche au sublime. Un cri du cœur sans manichéisme, forcément, ça bouleverse, ça chavire. Un petit bijou qui offre aux festivaliers une belle leçon de progressisme cinématographique. Sortie en salles prévue le 25 septembre.

Bacurau, de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, avec Barbara Colen, Sônia Braga, Udo Kier… Brésil, 2 h 12.

Visuels : photo du film / Victor Jucá

Retrouvez tous les films des différentes sélections dans notre dossier Cannes 2019

Cannes, jour 2 : Russie dure, poétique jeunesse de l’ACID et nouveau Ken Loach
Cannes 2019, Compétition : “Sorry we missed you”, un Ken Loach sobre et vivant
Alexis Duval

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration