
Cannes 2019, ACID « Indianara » : quand sexe et politique font bon ménage
Deux ans après Sexo, pregações e política — Sexe, prêches et politique — la documentariste Aude Chevalier-Beaumel retrouve la « putain de parlementaire » Indianara, militante des droits trans au Brésil, dans un film sélectionné à l’ACID.
« Fuera Temer! Fuera Temer! » La foule scande en rythme son désir de voir Michel Temer, successeur transitoire de Dilma Rousseff à la tête du Brésil, quitter le pouvoir. Nous sommes en 2016, et la présidente issue du Parti des travailleurs (PT) a fait l’objet d’une procédure d’impeachment. Suivant la procédure, c’est le vice-président, Michel Temer, qui prend sa place. Cependant, bien que venant lui-même du PT, il défait coup sur coup les acquis de sa prédécesseure : droits sociaux, libertés publiques… Aussi la foule présente au rassemblement est-elle massive, réclamant le départ de Temer et le retour de « Dilma ».
Se font entendre çà et là, près des orateurs, d’autres revendications : la nécessité de donner la parole à Indianara, députée, trans, militante LGBT et pute. D’où le surnom qu’elle se donne elle-même : « putain de parlementaire ». Car la fascination qu’exerce Indianara sur ses troupes vient en partie de cette double qualité : défenseuse des droits des travailleuses du sexe, elle est elle-même pute ; défenseuse des droits trans, elle est elle-même trans. Aussi sa vie politique se mêle-t-elle à sa vie privée. Quand la parole lui est enfin accordée, Indianara égraine, inlassablement, la longue liste des morts trans parce que trans. Une liste qui n’en finit pas.
De la séduction d’Indianara
Le film précédent d’Aude Chevalier-Beaumel donnait la parole à différents acteurs des droits sexuels et s’intéressait à tous les problèmes recoupés par cette question : ceux des droits trans, certes, mais aussi des IVG, des droits homosexuels… Particulièrement séduite par la parlementaire Indianara, c’est sur elle que la réalisatrice a décidé de se concentrer cette fois-ci. Et si la scène liminaire la présente au milieu de groupes militants d’horizons divers, tous rassemblés par le rejet commun de Michel Temer, la question des trans sera au cœur du film.
C’est qu’être trans, c’est être en situation de vulnérabilité. Aussi Indianara accueille-t-elle celles et ceux qui le lui demandent dans une maison dédiée. Un mobilier assez spartiate mais enfin, dit-elle, « c’est pas la rue ». C’est aussi parfois des disputes violentes, avec des pensionnaires que l’errance a rendus inaptes à la vie en collectivité, et des conflits à gérer. Surtout, ce sont des combats durs mais brillants et colorés grâce aux costumes de ces putes et trans qui nous donnent l’impression d’assister à un incessant carnaval de Rio.
Des scènes de liesse et de tristesse
Et c’est cet aspect du film qui nous séduit le plus : ces couleurs à la fois vives et bon marché, parfois sales, toujours pailletées, qui donnent du lustre aux compagnes d’Indianara et deviennent à elles seules des revendications, comme des banderoles dont on ne se départirait jamais. Aussi les scènes de manifs et de fêtes sont-elles particulièrement saisissantes, grâce à ce mélange de misère, de liesse et de combat qui les rend simultanément tristes et joyeuses.
On regrettera en revanche le portrait quasi-christique du personnage, qui empêche le film de prêter à aucun.e de ses acolytes une individualité. Seule existe Indianara, au-dessus d’un océan de militant.e.s anonymes qui la regardent bouche bée et la larme à l’œil.
Visuel : ACID