Cinema
Au Festival Entrevues 2019 à Belfort, beaux parcours humains et formes novatrices

Au Festival Entrevues 2019 à Belfort, beaux parcours humains et formes novatrices

24 November 2019 | PAR Geoffrey Nabavian

Le Festival International du film, destiné à présenter au public comme aux professionnels les premiers, deuxièmes ou troisièmes films de réalisateurs prometteurs, permet de belles découvertes, méditatives, acides et toujours humaines, en cette édition 2019. Sans compter ses masterclasses et ses avant-premières, grâce auxquelles légendes et futur du cinéma dialoguent… Le festival Entrevues se poursuit jusqu’au 25 novembre.

Festival international consacré au “jeune cinéma indépendant et novateur”, Entrevues trace depuis 1986 une voie dédiée à l’accompagnement des réalisateurs qui signent leurs premières oeuvres. En cette édition 2019, outre la Compétition Internationale, et ses Grands Prix Janine Bazin et André S. Labarthe, ou le Prix Ciné+ d’aide à la distribution (sans oublier les Prix du public et le Prix Eurocks One+One), le dispositif (Films en cours) permet à son lauréat de recevoir une aide à la post-production pour son film en fin de montage, en vue de sa sortie en salles. Et le parcours Nouveaux Talents (coordonné par l’Aparr, en collaboration avec le CNC, et son dispositif “Talents en cours”) offre quatre jours de formation et de rencontres, ainsi qu’une projection publique, à cinq jeunes réalisateurs de Bourgogne Franche-Comté ayant signé un court-métrage, avec en prime une résidence d’écriture attribuée par un jury à deux d’entre eux au final.

Parmi les jeunes cinéastes qui furent sélectionnés aux Entrevues, par le passé, on compte Rabah Ameur-Zaïmeche (réalisateur de Terminal Sud, qui vit son premier long Wesh Wesh – Qu’est-ce qui se passe ? recevoir le Prix Léo Scheer au Festival en 2001), Pedro Costa, Benny et Josh Safdie, Joao Pedro Rodrigues… En cette édition 2019 qui, entre autres, met à l’honneur Pierre Salvadori (réalisateur de Cible émouvante, Après vous…, En liberté !), présent pour deux séances “Fabbrica” (succédant aux projections de Hors de prix et Dans la cour, et destinées à expliquer certains processus de création en présence de collaborateurs), des talents particuliers se montrent sur les écrans, et donnent à voir des réussites singulières, qu’on espère voir toutes distribuées dans les salles françaises.

Les parcours humains de la Compétition Internationale

Au sein de la Compétition Internationale 2019, les oeuvres de réalisateurs encore peu connus sont à voir. Avec plusieurs documentaires aux formes brillantes et originales… Parmi ceux-ci, on retient particulièrement L’Île aux oiseaux, film qui cadre le réel avec un ton méditatif et ouvert de Maya Kosa et Sergio Da Costa (remarqués en 2017 lors de la sortie en France de Rio Corgo). Un parcours qui épouse le rythme des pensées d’un jeune homme en convalescence après une très dure maladie, distillées en voix-off de manière mesurée, avec des souffles calmes mais courts. Le lieu de réadaptation de ce personnage : un centre à ciel ouvert destiné à ma guérison des oiseaux. Avec un mentor, en poste là depuis des années, qui attend la retraite, et paraît, aux dires du héros, avoir été “abandonné” ici… Et puis quelques autres aides, des personnes concentrées, qui se dédient patiemment aux soins des oiseaux. Magnifique portrait d’un cadre naturel solaire peuplé d’animaux émouvants à observer (quand ils n’apparaissent pas gravement malades et affaiblis), ce film est doté d’une forme qui, par sa sobriété et ses partis-pris, lui permet de traverser une foule de thèmes. On lui souhaite une sortie dans les salles françaises en 2020.

Noël et sa mère, objet guère commun réalisé par Arthur Dreyfus (connu pour ses livres, de fiction ou non, ou son travail comme journaliste radio), marque aussi grandement. Ami avec l’historien du cinéma et professeur Noël Herpe, il le filme au sein d’un dispositif minimaliste – un espace recouvert de tissu noir, constituant une sorte de boîte noire – et capte le dialogue qu’il a avec sa propre mère. Effet dépaysant atteint : dans ce lieu non figuratif qui figure peu à peu une sorte d’espace mental, ces deux figures bonhommes qui content leurs vies et déroulent leurs pensées se révèlent attachantes et passionnantes. Fondé sur des questions précises posées au départ par Arthur Dreyfus, le film amène Noël à évoquer son amour pour ses parents (entre lesquels le lien n’a pas trop tenu), ses souvenirs de son père ou son “monde érotique”, bien particulier. Tandis que sa mère, forte en gueule et en voix, relate son itinéraire et les luttes qu’elle mena. Leur lien est la clé du film, et leur clé tout court peut-être… Passant de la bonhommie au conflit, puis aux larmes (surtout lui) très vite, sous nos yeux, ils emportent à leur suite. A tel point que, lors de la discussion d’après-film avec le public, certains spectateurs disent qu’ils “sont avec la mère”, et d’autres “pour Noël”. A revoir vite en salles, on l’espère, et à voir au Festival Chéris-Chéries 2019.

Toutes les vies de Kojin, documentaire signé par Diako Yazdani, convainc également beaucoup, grâce à sa forme drôle et acide. Son réalisateur, qui a acquis le statut de réfugié politique en France, y suit le Kojin du titre, jeune homme iranien homosexuel d’origine kurde. Captant, sur plusieurs années, l’évolution de ses sentiments quant à lui-même, au sein de son pays actuellement, il filme également ce jeune protagoniste face à quelques antagonistes, tel un imam intégriste qui accepte de parler d’homosexualité et se révèle vite cartoonesque tant il tient des propos exagérés. Le réalisateur, lui-même d’origine kurde et homosexuel, mène également Kojin dans sa propre famille a lui, où certains membres se montrent gênés, avançant que la vie du jeune homme serait plus facile dans un autre pays. Le dialogue et les questions apparaissent ici plus aisé entre les enfants quarantenaires, plutôt qu’avec les parents âgés. Et plus tard, la rencontre de Kojin avec un auteur kurde connaisseur des langues et poèmes anciens, et du statut de l’homosexualité en eux, marque aussi. Pourvu d’un regard fin et juste, qui ne se précipite pas, ce documentaire personnel évoquant une situation guère évidente offre aussi de belles scènes, telles celle où le protagoniste central s’en va frapper sur un tambour, dans la montagne, en songeant aux rythmes frappés lors des Gay Prides, dans d’autres pays. Un film à voir dans les salles françaises le 12 février 2020, distribué par Rouge Distribution.

Pour ce qui est de Muhammed Ali, documentaire de Ümit Köreken et Nursen Cetin Köreken, consacré à un jeune homme turc lourdement handicapé, qui se consacre à la natation jusqu’aux Compétitions, s’il marque moins du fait de sa forme, moins porteuse d’un vrai oeil que d’autres films présentés, il présente une qualité en ce qu’il prend le temps de bien suivre et regarder son personnage principal, et de bien observer son visage et ses traits qui s’ouvrent progressivement, dans son quotidien. Au final, un programme copieux de nouveaux regards, auxquels s’ajoutent les courts-métrages.

Nouveaux talents, et exploration de la création en direct

Côté panorama de la nouvelle création cinématographique internationale, les Entrevues ont choisi également en 2019 de donner à voir les dernières années en date du cinéma algérien, dans le cadre du focus L’Algérie, aujourd’hui. A travers des films tels que le beau En attendant les hirondelles, stimulant parcours en forme d’odyssée(s) à travers les paysages modernes algériens, qu’on avait pu découvrir à Cannes 2017 à Un certain regard. Son réalisateur, Karim Moussaoui, était d’ailleurs présent avec d’autres pour une table ronde titrée “Filmer l’Algérie aujourd’hui”.

Au sein de ce Panorama, on a choisi de s’aventurer dans l’expérience offerte par le film Loubia Hamra (2013) et la Masterclass qui l’accompagnait, “Composer la musique d’un film“. Animée par Benoît Basirico, elle a permis à la réalisatrice Narimane Mari de revenir sur l’expérience qu’a constitué la création de la bande originale pour son long-métrage, et sur sa collaboration, sur ce film et les suivants, avec Docteur Lori Schönberg (membre du groupe Zombie Zombie, entre autres) et Quentin Rollet (saxophoniste, notamment). A la vision de Loubia Hamra, en effet, la musique choisie pour accompagner les images (qui suivent des enfants sur les plages algériennes, et dans une ville surveillée) apparaît marquante, entre percussions brutes et electro planante. Narimane Mari confie ensuite, notamment, ses premières appréhensions quant à l’usage d’une musique originale pour ce métrage ci, dans lequel les cris endiablés des enfants résonnent fort et occupent beaucoup d’espace. Avant que Docteur Lori Schönberg ne soit questionné par un spectateur, avançant que “l’electro est une musique destinée à abolir frontieres et styles“. A ce moment, la réalisatrice confirme qu’en effet, son usage doit porter la même idée, dans son film : permettre à la patrie de s’effacer, à l’écran. Pour finir, les deux artistes musicaux en présence jouent ensemble, au sein de la salle de cinéma, livrant un moment aérien et brillant, dans un cadre qui se plie à l’exercice.

Ferrara en avant-première, à l’heure des bilans

Aux Entrevues 2019, parmi les Avant-premières, celle de  Tommaso, nouveau film d’Abel Ferrara, a constitué un beau moment. En sa présence, ainsi que celle de sa compagne Cristina Chiriac et de sa fille enfant Anna Ferrara (toutes deux actrices dans le métrage), on s’est aventuré dans ce long drame autobiographique et introspectif (passé par Cannes 2019), qui suit le parcours intérieur d’un réalisateur vieillissant, et enfin sobre, habitant Rome et assailli peu à peu de lancinantes interrogations quant à son couple, sa paternité, ses fuites passées. Ce long-métrage, enveloppé dans une belle bande originale incantatoire, navigue entre présent et instants imaginaires, avec une belle maîtrise, et un caractére très vivant. Si sa lumière manque parfois de netteté, l’interprétation sans faille de Willem Dafoe accroche constamment le regard. Et aucun second rôle ne démérite. Ce soir-ci, le festival Entrevues, qui aime accompagner les nouveaux venus, a été présent aux côtés d’Abel Ferrara, à l’heure d’un certain bilan également.

Aussi au programme, une rétrospective des films consacrés à la Chasse à l’homme ou contenant des motifs tels (pris dans un sens très actuel, en résonance avec aujourd’hui), ou encore un autre focus porté cette fois sur le cinéma de la RDA, avec présence d’historiens. Sans oublier les afters musicaux (dont ceux à la Poudrière, sur fond de musique electro, en partenariat avec les Eurockéennes de Belfort) pour finir les journées… Et une présence emblématique, celle de Cléo de 5 à 7 (film au programme du bac cette année, et donc mis pour cette raison au centre d’un cycle de projections dans le cadre du Festival), et à travers lui celle d’Agnès Varda. Afin que les formes inventées par le passé annoncent les actuelles, et celles à venir…

Le festival Entrevues, à Belfort, se poursuit jusqu’au 25 novembre. Calendrier des séances ici.

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Visuels :

1) affiche du festival Entrevues 2019

2) affiche suisse de L’Île aux oiseaux

3) affiche de Toutes les vies de Kojin

4) Abel Ferrara en dialogue avec le public suite à Tommaso © Geoffrey Nabavian

5) Abel Ferrara en dialogue, avec Cristina Chiriac et Anna Ferrara © Geoffrey Nabavian

6) photo de Tommaso © Les Bookmakers / Capricci Films

7) performance musicale de Docteur Laurence Schönberg et Quentin Rollet, suite à la projection de Loubia Hamra © Geoffrey Nabavian

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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