A l'affiche
Marc Dugain livre une Eugénie Grandet résolument féministe

Marc Dugain livre une Eugénie Grandet résolument féministe

22 August 2021 | PAR Olivia Leboyer

Le romancier Marc Dugain avait prouvé en adaptant L’échange des princesses (de Chantal Thomas) sa maîtrise à convertir un récit – historique – en plages de temps de cinéma. En donnant corps à Eugénie Grandet, il prend un risque certain, tant le roman nous est familier. Pari réussi, car Marc Dugain n’hésite pas à choisir un angle fort. A découvrir en salles le 29 septembre 2021.

La campagne près de Saumur est filmée au plus près de la terre. Le ciel gris et lourd, les arbres minces et tristes, la terre grasse, constituent tout l’univers de Félix Grandet, qui achète, négocie, ruse et amasse. En père Grandet, Olivier Gourmet impressionne considérablement. Son visage massif et fin exprime toutes les nuances de ce personnage d’un bloc, et pourtant si retors et complexe. Chez lui, à table, il est fermé, presque granitique. Dans les ventes aux enchères, devant ses adversaires, il se déploie, affiche un air matois, rit et séduit son public, un peu interdit face à ses tours et détours. Grandet est habile, intelligent, prudent, sans scrupules.

L’obsession de l’argent, oui, mais aussi le désir fou de contrôler son petit univers familial et la destinée de sa fille unique, Eugénie (Joséphine Japy). Pour lui, l’argent et l’amour vont ensemble, ne sont pas dissociables. L’argent n’est pas un objet ou un moyen d’échange, il est bien plus que cela, il est tout. “On meurt pour l’argent ? Hé bien, oui, encore heureux, sinon en quoi aurait-on foi ?” lance-t-il, sincère, en annonçant le suicide de son frère, ruiné. Les sentiments ? L’homme en a, autant que de pièces d’or. Chaque pièce donnée à sa fille est, pour lui, un gage du lien entre eux. Aussi refuse-t-il obstinément qu’Eugénie se brade à n’importe qui. Ni au fils du banquier, ni à celui du notaire, deux nigauds bassement intéressés. Ni à ce cousin Charles, aux si beaux yeux mélancoliques, et qui lui paraît – à juste titre – si inconsistant. César Domboy joue excellemment ce personnage attirant, mais si veule. Tous les personnages de notables sont plus vrais que nature, visages, statures, expressions.

Eugénie vit dans un univers borné, confiné, où la nature a une beauté austère. Eugénie ne cessera pas d’aimer Charles, continuant à chérir son souvenir des années après son départ pour l’Afrique. Figure de l’attente, de la patience, Eugénie Grandet brûle d’un éclat calme, un peu terne chez Balzac, où elle en vient, à la fin du roman, à ressembler curieusement à son père par certains côtés. Ici aussi, l’ambiguïté est bien tenue : entre le père et la fille, les correspondances abondent. Ils sont deux faces d’une même médaille, mais pas tout à fait. Eugénie n’est pas toute pureté. Le père Grandet n’est pas tout avarice. Une certaine idée de la transmission hante le père. La jeune fille, pleine d’idéal, conserve quelques traits héréditaires d’égoïsme, voire de petitesse.

Mais, dans l’ensemble, Marc Dugain a donné à Eugénie une voix et un caractère plus affirmés que dans le roman. La fin diffère un peu. Joséphine Japy prête ses traits purs, son beau profil sage, à ce personnage, lui aussi, d’un bois particulier. Eugénie est attente, mais elle est également capable de se révolter contre la condition dans laquelle elle se trouve maintenue. Femme, au XIXe siècle, elle est vue et considérée pour sa dot, pour ce qu’elle apporte à l’homme dans sa corbeille. Paradoxalement, la violence exercée par le père va aider la fille à refuser sa condition, jusqu’au bout. Valérie Bonneton est émouvante en mère aimante mais impuissante. Dans ce noyau familial, en marge, la domestique jouée par Nathalie Becue apporte un point de vue à la fois interne et extérieur.

Récit d’obsessions maladives, du père pour ce qui lui appartient, la fortune et sa fille, de la fille pour ce qui lui échappe, l’idéal masculin et le bonheur, le film rend avec acuité toute l’ambiguïté du roman.

Eugénie Grandet, de Marc Dugain, France, 1h45, d’après le roman d’Honoré de Balzac, avec Joséphine Japy, Olivier Gourmet, César Domboy, Valérie Bonneton, François Marthouret, Nathalie Becue, Bruno Raffaelli, Jean Chevalier. Sortie le 29 septembre 2021.

visuels: affiche et photo officielles du film.

Cinédanse : Joséphine Baker au Panthéon
Agenda culturel de la semaine du 23 août
Avatar photo
Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration