
“L’époque”, de Matthieu Bareyre : “Paris dernière” de la jeunesse d’après 2015
Mention spéciale à Locarno et meilleur premier film français pour le jury SFCC (lire notre article), le premier film de Matthieu Bareyre était passé sous nos radars. A tort : s’attaquant au sujet grave d’une jeunesse désemparée dans les rues nocturnes de Paris, ce petit bijou d’esthétique dresse un constat à la fois désespérant et énergique.
Sorti en avril dernier, L’époque est un travail de longue haleine : 2015, 2016, 2017 … Matthieu Bareyre est allé interviewer les 18-25 ans dans les rues du Paris de l’après-Charlie pour sonder leurs rêves. S’ils racontent face caméra, dans la lumière bleutée du Canal Saint-Martin ou orangée des Champs-Elysées leurs rêves endormis, ceux qu’ils ont pour eux-mêmes le jour sont bien plus sombres ou évanescents. On les suit pendant 1h30 de rushs parfaitement maîtrisés, de son (Thibaut Dufait) impeccable et de jeux de couleurs et de lumières sur les graphs de murs, les visages qui nous parlent et les pavés qui reflètent le ciel. Engagés, Djs, étudiants à la Fac ou à Sciences-po, ils se confient au réalisateur.
Indignés, habités d’énergie, parfois un peu philosophes, souvent très “insoumis”, ils ont leur grille de lecture du monde, leur rage mais aussi une chape d’impuissance sur les épaules. Fiers, le sourire aux lèvres, ils disent qu’ils ne sont pas trop angoissés, que la vie, c’est comme ça, qu’ils tiennent le gouvernail, mais leurs yeux dans un Paris toujours aussi beau la nuit renvoient une impression de noyade infinie. On sort du film tous les sens éveillés par le traitement incroyable de l’image et du son, par cette capitale toujours aussi soyeuse et lumineuse mais aussi complètement abattu par l’impression de gâchis, de jeunesse sacrifiée, d’apathie irrépressible, d’étouffement des révoltes, et de gravité des passions. Un beau film, ultra-mélancolique, qui révèle un réalisateur très prometteur.
L’époque, de Matthieu Bareyre, France, 2019, 90 min, Artisans du Film/ Co-Production : ADF L’Atelier et Alter Ego Production, BAC Films.
visuel : affiche du du film