Cinema
Focus Marylène Negro au festival Côté Court

Focus Marylène Negro au festival Côté Court

04 July 2011 | PAR Smaranda Olcese

Les œuvres de Marylène Negro ont commencé par séduire le monde des arts plastiques. Le cinéma s’en empare avec fascination et engouement. Après les Instants poétiques et numériques de Marseille en 2009, le festival Côté Court à Pantin consacre à Marylène Negro un focus marqué par 3 temps forts : un programme littéraire, un programme historique et la projection de X+, long métrage expérimental qui tient une place à part dans le travail de l’artiste.

Le ciné 104 accueillait également, sur la durée du festival, Attractions, une installation de Marylène Negro pour 9 écrans de télévision d’ancien format, qui reprennent en boucle, chacun à son rythme et avec sa personnalité cathodique, 3 films de 56’’, graphiques, minimalistes, aux traits délicats et obstinés dans leur rotation naissante qui capte le regard.

La force des propositions de l’artiste se déploie d’emblée dans la salle de cinéma. Issue d’une formation en arts plastiques, ses travaux semblaient voués aux galeries, qui d’ailleurs leurs ont très vite fait une place de choix. Sortis de la temporalité cyclique, de la boucle de l’espace d’exposition, ses œuvres résistent à l’épreuve de la projection unique, et montrent qu’ils sont des films à part entière. Leur propos, le regard qu’ils nous adressent – dans le sens qu’explicite Georges Didi-Huberman dans son livre Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, éditions de Minuit, 1992 – se fait plus insistant.

Le regard est effectivement au cœur des films de Marylène Negro. Le plus souvent réalisés à partir d’une unique image, ils mettent en acte l’obstination d’un geste qui sonde l’épaisseur du monde. Au-delà d’un minimalisme exigeant, c’est une plongée d’une richesse insoupçonnable. Ich Sterbe, 2007, 11’40, rythmé par la voix de Nathalie Sarraute, s’extrait lentement de la matière. Marylène Negro fouille dans les plis de cette matière numérique, la triture et la déstabilise, déjoue son acuité binaire dans une consistance opaque, laiteuse. C’est une longue traversée, un voyage à travers différents degrés de flou. L’image est là, vivante, pulsatile, surprise dans son devenir figuratif, soumise à des transformations imperceptibles qui la mènent vers une vanité à peine dévoilée, hautement poétique.

Marylène Negro avoue ressentir le besoin de passer du temps avec certaines photographies. Le prochain film nous propose une image figurative : nous voilà sur une plage atlantique. L’espace s’ouvre de plus en plus autour de deux personnages, nous sommes sous l’emprise d’une histoire qui ne se laisse pas deviner : Après ne se raconte qu’à travers des symptômes, des mots qui s’inscrivent à l’écran pour faire signe vers un accident, un point de bascule jamais précisé. La vie semble essayer de retrouver son cours, dans une recherche désespérée de repères, sans cesse minée par le mouvement de la caméra qui élargit son cadre dans un zoom arrière, très lent, et imperturbable, qui laisse surgir autant d’imprévus dans l’image. Ainsi dépourvue de son point d’accroche, l’histoire non racontée continue à flotter dans un espace devenu anonyme. Ne l’avait –il pas toujours été ?

Cette séance a été conçue avec beaucoup de subtilité, elle épouse les rythmes secrets de l’œuvre de Marylène Negro.  Avec son Homme atlantique, le regard plonge à nouveau, dans un zoom patient et contrôlé, s’enfonce, semble s’égarer dans le jeu de miroirs sombres et somptueux du hall désert de l’hôtel des Roches Noires, scrutant la moindre trace de vie dans une solitude dense, paradoxalement habitée par la « voix » de Marguerite Duras qui dit son histoire, L’homme atlantique. Et pourtant, il n’y a pas de bande son dans cette œuvre. Les mots apparaissent à l’écran dans un silence absolu, laissant résonner dans nos esprits le film de l’écrivaine. Il y va d’une réponse en miroir : à l’évanouissement de l’image qui sombre dans le noir fait face la perte de la voix, autant d’allers et retours incessants de l’image qui se donne à voir reflétée à l’infini dans les glaces.

La lecture, par Edith Scob, d’extraits du Petit éloge de la jalousie de Gaëlle Obiégly aménage un intermède enjoué, comme en réponse à la petite rengaine qui résonnait dans la salle une heure plus tôt, quand la boucle de Muriel – une main qui enchaîne avec gourmandise des lettres, soustraites de manière patiente et astucieuse de l’image numérique – accompagnait l’installation du public. Nous sommes au cœur de l’écriture et sur la page envoûtée qui s’obstine à rester blanche, chacun pourra inscrire son propre bout d’histoire.

Les films de Marylène Negro se vivent comme des expériences, face à face hypnotique qui entraîne un subtil déplacement de repères. Nous pouvons nous perdre dans et avec une image, C’est vous. Le glissement se fait en douceur, sans violence aucune. L’artiste ne joue pas à déstabiliser ses spectateurs, d’emblée elle les accompagne dans une errance partagée. Des mots s’égrainent à l’écran, un dialogue intérieur à plusieurs voix d’une infinie délicatesse. Et ces questions lancées dans la désolation d’une lande maritime, ces bribes de réponses, assument la même fonction que le phare autour duquel se constitue cette unique image et le film : les mots sont à la fois des repères rassurants et des leurres qui peuvent nous perdre. Autant de lueurs d’un bord de mer, pour le regard embué par la fatigue, qui cherche le chemin vers la rade. Leur apparition discrète à l’écran – écho des doutes, des hésitations et chutes mises en partage – loin de brouiller le jour qui va pour se lever, laisse apparaître, en les matérialisant d’une manière subtile, les strates de temps possibles et autant d’histoires et expériences qui les font vibrer. L’œuvre de Marylène Negro permet tout ce foisonnement, l’accueille en toute simplicité et de ce fait témoigne d’une grande générosité. Le temps s’étire, s’étoffe, se densifie. Ces 30 minutes passées avec une image et ses subtiles transformations agissent sur des ressorts insoupçonnables, modifient notre regard de manière irréversible.

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Smaranda Olcese

One thought on “Focus Marylène Negro au festival Côté Court”

Commentaire(s)

  • ce texte me porte comme rien n’emporte la beauté mystérieuse d’une oeuvre

    July 27, 2011 at 21 h 35 min

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