Arts
Une grande lueur à l’Est : les promesses du Passé à Beaubourg

Une grande lueur à l’Est : les promesses du Passé à Beaubourg

16 April 2010 | PAR Yaël Hirsch

Disposant de la plus grande collection d’art moderne et contemporain d’Europe (plus de 60 000 pièces), le Centre Pompidou a acquis notamment depuis 2005 de nombreuses oeuvres d’artistes d’Europe de l’Est à l’ère soviétique. Une partie de ces collections est présentée de ma nière originale et discontinue jusqu’au 19 juillet à l’espace 315 et permet de découvrir tout un monde à la fois si proche et si lointain.

« À nous, comme à chaque génération précédente, fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. » Walter Benjamin

“Les promesses du passé” titre son titre des “Thèses sur le concept d’Histoire” de Walter Benjamin. La commissaire de l’exposition, Christine Marcel, et son interlocutrice principale dans la conceptualisation de l’évènement, la directrice du musée d’Art Moderne de Varsovie, Joanna Mytkowska, ont voulu signaler par ce titre qu’elles remettaient en cause l’idée de conitnuum historique, y compris en Histoire de l’art. Elles suggèrent ainsi que les artistes se font “pêcheurs de perles”, en constante création de ruines révolutionnaires, sinon messianiques. C’est donc thématiquement que l’exposition se déploie en étoile et selon la forme d’une sculpture en béton signée Monika Sosnowska. Cette architecture massive jure habilement avec les murs transparents de la galerie Sud.

Le visiteur parcourt alors l’espace selon 7 thématiques qui lui présentent environ 160 oeuvres .
Au-delà des utopies modernistes” s’ouvre sur une photo provoquante et drôle du polonais Cezary Bodzianowski (“Rainbow, Bathroom, Lodz”, 1995). Alexander Uguay (Kazakhstan) présente un film de 2004 ironisant sur la nostalgie de l’ère soviétique. Et l’on découvre que Tirana (Albanie) est un centre d’art contemporain très important avec sa biennale, et que l’un des plus grands artistes albanais n’est autre que le maire de la capitale : Edi Rama.
Fantasmes de totalité” présente notamment les suberbes voyages dans le temps que réalise le photographe hongrois Miklos Erdely, opérant par l’art une révision nostalgique sur les moments heureux et échappés.
Anti-art” révèle à l’Ouest que les artistes de l’Est ont commencé à remettre en cause dès la fin des années 1950 le statut de l’art, notamment à Zagreb, autour du groupe “Gorgona”, et montre les “anti-happenings” du dada slovaque Jullius Koller.
Geste micro-politique, geste poétique” montre notamment le travail du contemporain Roman Ondak (Slovaquie) dont l’oeuvre la plus connue “Mesuring the universe” (2007) a consisté à demander à des gardiens de musée de noter la taille et le nom des visiteurs, afin de confronter cette réalité de chacun à la monumentalité conservatrice des institutions.

Féminin-féministe“, pose la question du genre et nous rappelle que si l’URSS a souvent semblé en avance sur l’Ouest sur la question des femmes, les artistes est-européennes se sont posées, tout comme leurs consoeurs occidentales les mêmes questions confrontant l’apperence et l’intime. Ainsi, quand la croate Sanja Ivekovic pose un bas sur son visage pour le couper au ciseau (“Journal”, 1976, elle oscille entre la violence d’une Nikki de Saint Phalle et le questionnement en mouvement d’une Rebecca Horn se transformant en animal mythique : la Licorne.
Espace public-espace privé” permet, entres autres de découvrir l’artiste mythique et hongrois Tibor Hajas (qui a fait de la prison et est mort à 35 ans dans un accident de voiture), à travers “Tortures de surface” (1978). Il s’agit d’une série de photos aux négatifs brûlés, et qui fait écho à un texte-manifeste. En parallèle, le visteur peut à nouveau voir le travail d’un roumain assez connu des Français puisqu’il habite désormais en France: Mircea Cantor, qui travaille sur le rapport entre le local et le global. Ici, on peut voire “Shadow for a while” (2007), documentaire  sur un drapeau qui brûle.

Enfin, on découvre la performance radicale du célébre caricaturiste roumain, Dan Perjovschi, qui s’est fait tatouer le nom de son pays sur le bras après la chute du mur pour le faire retirer, dix ans après, et s’estimer “libéré de la Roumanie”.
Enfin, dans la dernière section, “L’utopie revisitée”, trône une vidéo de l’artiste israélienne Yaël Bartana, “Mur et tour” (2009, titre en polonais : Mur i Wiedza), un film de 30 minutes tourné à Varsovie et remettant en cause le sionisme à travers le plan éponyme qui prévoyait la construction de 57 kibboutz en 1957.

Au sortir de l’étoile de béton présentant ces oeuvres, le visiteur peut visiter un espace documentaire absolument époustouflant, qui présente d’abord le film émouvant du Lituanien Deimantas Narkevicius “La disparition d’une tribu”, les liens entre les galeries françaises et de l’Est notamment à travers l’influence de Daniel Buren, et enfin, un espace de projection qui ressemble à une cathédrale, et construit par le scultpteur slovène Tobias Putrih, à partir de cartons où l’on pouvait rouler les photos et toiles samizdat…

Le parcours discontinu fait donc faire des bonds dans le temps : des avant-gardes des années 1970 à leurs jeunes dauphins des années 2000, et leurs repercussions sur quelques grands noms de l’art “occidental”. Mais l’effacement des années 1980 et 1990 est troublant, puisque la guerre de Yougoslavie est passée sous silence et on envisage la chute du mur de Berlin qu’à travers des repercussions sismiques tardives. Même si l’on accepte que, tout particulièrement parmi les hommes, l’artiste se tient dans “une brèche dans le temps” et créé dans une temporalité discontinue, il semble que la promesse comme garantie de l’avenir devrait se bâtir sur une vision plus complète de ce passé oublié…
De nombreux artistes est-européens sont présents à Beaubourg pour présenter leurs oeuvres dans le cadre des “Promesses du passé”. Cliquez ici pour voir le programme des conférences et des rencontres.

Les promesses du passé“, jusqu’au 19 juillet 2010, Centre Pompidou, Galeries Sud, espace 315, de 11h00 – 21h00 jusqu’à 23 h le jeudi, fermé le mardi, et le 1er mai, Paris 4e, m° Rambuteau ou Hôtel de Ville, Tarif plein 12€ ou 10€ selon période / tarif réduit 9€ ou 8 € selon période.

 Visuels:
1) Jullius Koller- Flying Cultural situation- 1983, collections du centre Pompidou

2) Cezary Bodzianowski- Rainbow, Bathroom, Lodz- 1995 Foksal Gallery Foundation/Monika Chojnicka

3)  Sanja Ivekovic- Journal- 1976

4) Yaël Bartana- Mur et tour- 2009

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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