
Philippe Droguet, un artiste à fleur de peau
Philippe Droguet puise ses matériaux dans une liste longue et disparate, qui semble tout droit sortie du grenier d’Ali Baba : de la paraffine, des vis, des baignoires, de la peinture d’autoroute, des nichoirs, des semences de tapissier, des bonbonnes de gaz, des chaussettes, des ossements d’animaux, mais également des cure-dents ou de la poudre à munitions. Autant d’éléments dont la juxtaposition paraîtrait pour le moins insolite, mais qui font écho à un dessein artistique, convoquant à la fois la sculpture, l’artisanat, la peinture et les arts primitifs ; un art qui se situe à la croisée du surréalisme, des arts primitifs, du ready-made et des fétiches des pays d’Afrique.
L’artiste transfigure le volume, la surface et la texture des choses pour en explorer le champ latent des possibles. Les semences de tapissier deviennent les pointes acérées d’un pelage inquiétant, les cure-dents se hérissent comme des poils sur la peau d’un animal imaginaire…
Philippe Droguet s’interroge en permanence sur ce que dissimule la peau des choses. La peau est omniprésente, elle recouvre ses créations comme un voile charnel que l’on a envie de palper avant de soulever.
Selon les cas, l’enveloppe de peau recouvre en l’épousant une chair à jamais inconnue, ou bien dessine une proéminence organique et sensuelle. Ce qui fait corps avec la peau demeure à jamais une présence absente : dans « Battes », des chaussettes emplies de plâtre engendrent des jambes qui manquent.
La surface de la peau laisse toujours planer un doute sur la réalité des choses. Lisses et soyeuses à première vue, les peaux de certaines créations peuvent s’avérer piquantes et menaçantes, composant ainsi une réalité dichotomique fascinante. Que dire des « Fléaux », coquillages noircis recouverts de pointes ? S’agit de beaux bijoux exotiques ou alors d’armes redoutables d’inspiration indigène ?
Et comment considérer « Marine », cette bête fantastique dont la fourrure est entièrement constituée de cure-dents ? La perception rétinienne joue ici un rôle fondamental : selon la distance à laquelle on la regardera, la créature se présentera tantôt comme une peluche cocasse, tantôt comme une bête inquiétante, surgie du pire des cauchemars.
Les œuvres de Philippe Droguet révèlent des tensions constantes entre attractivité et répulsion, une ligne infime les séparant ; ce que l’artiste appelle le tégument, c’est-à-dire ce qui enveloppe et contient à la fois : c’est bien ce tégument qui nous attire et nous trompe. Philippe Droguet refuse de dire littéralement, en révélant toujours un objet et son contraire, sa beauté et l’aversion subjective de cette beauté. Ses œuvres sont peut-être les fleurs du mal d’une époque où l’homme se montre définitivement attiré par ce qui est aux confins du redoutable et de l’agréable.
Visuel (c) : Philippe Droguet