
Paolo Pellegrin, un photoreporter hanté à la Maison Européenne de la Photographie
Quel type de photojournalisme pratiquer au XXIème siècle, à l’ère des smartphones, des réflexes numérique surpuissants et des monstrueuses bases de données disponibles sur le web ? A cette question, Paolo Pellegrin n’offre pas de réponse, sinon celle d’un certain classicisme. Le lauréat du World Presse Award et collaborateur de la glorieuse agence Magnum aura porté son regard sur la plupart des grandes tragédies et événements contemporains : Kossovo, Liban, Darfour, Palestine, mais aussi le sida en Ouganda, le tsunami au Japon, Katrina et même les révolutions arabes de l’année dernière…
Parcourir cette première grande rétrospective, gravement intitulée (« Dies Irae », « jour de colère » en latin) relève souvent de la traversée de la vallée des larmes. On se retrouve dans la peau de Candide, errant de catastrophe en catastrophe, s’étonnant que le ciel ne soit jamais tombé sur la tête du photographe, et, des siècles après Voltaire, la même question qui revient : « faut-il se contenter de rester chez soi et cultiver son jardin ? ». Là encore, Paolo Pellegrin ne proposera pas de réponse toute faite. Il se contente de « créer des archives de notre mémoire collective ». Mais les nombreuses photographies qui captent le regard de ses sujets, parfois masqués (la brigade des martyrs de al-Aqsa notamment), semblent interroger aussi bien la place du photographe-témoin que celle du spectateur.
L’essentiel de ses photos sont donc en noir et blanc, à l’exception de celles sur Katrina, notamment, qui se contentent de capter l’étendue du désastre dans des natures mortes où l’homme est désespérément absent. Le reste de ses photographies est dynamisé par des cadrages puissants et frontaux qui taillent dans le réel pour prélever l’humain, en exil, prisonnier, malade ou blessé, fugitif… Autant de conditions précaires figées dans une matière granuleuse, épaisse et violemment contrastée.
Son noir et blanc pour le moins expressionniste joue des ombres dévorantes, nous plonge dans la fumée ou la poussière et n’hésite pas à garder au tirage le flou inhérent à l’urgence des événements. En ce sens, les photos de Paolo Pellegrin sont à rapprocher du travail plus personnel et introspectif (mais non moins ténébreux) d’un Michael Ackerman ou d’un Anders Petersen. Contrairement à Sebastiao Salgado, accusé par Susan Sontag à l’époque de vouloir rendre belle la misère ou la souffrance humaine, le style rugueux de Pellegrin semble vouloir rendre compte avec une certaine humilité de la dureté des situations auxquelles il se confronte (situations parfaitement résumées par les légendes). Il évolue dans un registre on ne peut plus différent de Joel-Peter Witkin (actuellement exposé à la BNF), mais tous deux refusent la couleur comme pour rendre plus supportables les images de sang, de douleur et de mort. Le grain de l’image, les contrastes recouvrent les blessures d’un voile de pudeur, et c’est sans doute dans ce parti pris esthétique que réside la fameuse « éthique » du photographe.
Les autres expositions de la MEP
Comme toujours, la Maison Européenne de la Photographie présente également trois autres expositions. Outre la très classieuse série de Dominique Isserman avec Laetitia Casta , qui a été prolongée, on pourra découvrir la série « Scratches » de Dominique Auerbarcher. La photographe française expose 25 tableaux de graffitis taggués ou grattés sur les vitres des transports publics berlinois. Son travail surfe sur la vague de la reconnaissance grandissante du tag et du street art dans le milieu de l’art contemporain ces dernières années mais peine à convaincre. L’artiste a beau faire référence à l’action painting et à la culture DJ, ces photos laissent un arrière-goût de déjà-vu et cèdent à la facilité des effets de lumières et de juxtaposition que produisent ces inscriptions gravées dans les vitres. En tirant vers l’art abstrait, les cadrages très serrés mêlent dans une même confusion les messages taggués et les paysages urbains en arrière-plan. Répétitif et lassant.
Plus intéressante, l’exposition « A la croisée des images » présente sept vidéos d’artistes plasticiens de la collection de la banque Neuflize. On retiendra notamment l’œuvre d’Emily Richardson (« Aspects ») qui a photographié une forêt pendant un an pour produire quelques minutes captivantes de stop-motion. La nature vibre par tous ses pores, comme un seul organisme vivant et monstrueux, immobile en apparence mais mutant en réalité à toute vitesse. Elle est présentée en alternance avec « Under Construction » du chinois Zhen chen Liu, passé par Le Fresnoy. Un plan séquence impressionnant qui mêle photographies, vidéo et animation 3D pour nous faire errer dans un quartier de Shanguaï en ruines. Le paysage est traversé par les fantômes de ses anciens habitants. Le voyage est également ponctué du témoignage poignant des derniers locataires qui refusent de quitter les lieux, vivant dans la misère et subissant la brutalité des autorités qui veulent les forcer à débarrasser le plancher. Un travail à l’ambition remarquable qui n’est pas sans évoquer Still Life de Jia Zhang-Ke.
Enfin, on ne s’attardera pas sur l’œuvre conceptuelle et réflexive de Guido Albi Marini, « L’art aveuglément », qui présente les photos de visiteurs d’une exposition qu’il a lui-même organisée, entièrement constituée de tableaux monochromes lumineux. Il semble vouloir bousculer la passivité du spectateur moderne qui déambule devant tout et n’importe quoi sans trop se poser de question. Son projet a très bien fonctionné sur nous, puisque nous avons très vite quitté la salle.
L’avantage avec la Maison Européenne de la Photographie c’est que la multiplication des expositions permet de s’attarder sur celles qui nous intéressent et de mettre de côté les autres. Alors, allez plutôt faire un tour et voir par vous-mêmes!
Visuel : (c) La ville de Bassora en flammes pendant l’invasion américaine en Irak, 2003 © Paolo Pellegrin/Magnum Photos
Visuel : (c) Une mère pleure son enfant tué pendant une incursion de l’Armée de défense israélienne à Jenin, Palestine, 2002© Paolo Pellegrin/Magnum Photos