
“Sans temps, l’Arménie…”, exposition des Artistes Plasticiens Arméniens de France
L’association APAF, Artistes Plasticiens Arméniens de France, a été créée en 1986 à l’initiative d’artistes dans le but de reconnaître, par l’art, le génocide arménien. Le peintre Henri Ghazerian nous explique l’importance qu’a cet événement de l’Histoire de ne pas tomber dans l’oubli. Et que c’est justement le rôle de l’artiste, de laisser une trace et de faire réfléchir. Focus sur l’exposition “Sans temps, l’Arménie…” (ndlr: à Clamart, ville jumelée avec Artachat), qui dévoile les différentes visions des peintres et des sculpteurs engagés, et qui révèle la nôtre.
Chaque artiste a une vision différente de l’événement. Certains vont exprimer la souffrance que le peuple arménien a connu, d’autres vont chercher l’issue lumineuse et croire en l’avenir. Jean-Pierre Seferian fait plutôt partie des premiers, avec ses dessins au fusain intitulés Le Désert (visuel 1). Ils font écho aux convois de femmes, d’enfants et de personnes âgées, emmenés dans les déserts de Syrie ou de Mésopotamie pour être décimés. Ils illustrent la multitude d’âmes sans visage, dans un cortège interminable. Le sculpteur Ani s’est également exprimé sur ce thème avec La Marche (visuel 2), représentant une mère et son enfant, se tenant l’un à l’autre. La mère semble protéger son petit, apeuré par ce qu’il y a face à lui, la mort. Une autre de ses sculptures relate cette souffrance. Le Cri (visuel 3) représente un homme à genou, visage tourné vers le ciel, bouche close. Le désespoir est tellement grand que le cri est intérieur, comme une imploration. Coza a peint quant à lui une huile sur toile, Ville (visuel 4). Une ville détruite, entre un ciel noir et un sol immaculé de rouge. Une croix religieuse tente de s’extraire de ce chaos: la foi des Arméniens leur a-t-elle permis de survivre à travers le temps ? Les églises encore existantes sont en tout cas le signe d’une culture riche et inébranlable.
D’autres artistes sont davantage dans le souvenir et la mémoire. Patrick Samuelian le retranscrit parfaitement avec sa photographie Un certain matin de 1915 (visuel 5). Des boîtes en fer rouillé, des tissus presque froissés et des photographies en noir et blanc entourent une poupée, posée sur une horloge. La poupée n’a pas de regard, ses yeux sont clos ou absents, et la pendule n’a pas d’aiguilles visibles. Le temps s’est arrêté sur une vie passée, sur des souvenirs, des objets entassés dans un cabinet de curiosités, qui perdurent comme témoins d’une existence. Le peintre Charles Nercessian a une autre façon d’exprimer la mémoire. LOeil de la mémoire (visuel 6) représente un œil géant où se reflètent les convois dans le désert. De cet œil coule une larme rouge sang, sur une croix de bois où semble être accroché l’alphabet arménien. Le présage ne semble paradoxalement pas si pessimiste: le ciel est étoilé et la verdure reprend doucement le dessus sur les montagnes désertiques. Car c’est par la mémoire que le génocide n’a pas tué la culture arménienne. Adjar s’écarte du symbolisme pour rendre hommage à la culture. A nos poètes disparus (visuel 7) est une peinture figurant quatre personnages en train d’échanger ensemble, probablement des poètes ou des intellectuels. Par leur savoir, ils sont porteurs d’une civilisation.
Dans un esprit optimiste, Marguerite Mateossian a sculpté Toujours debout (visuel 8). La figure humaine que l’on distingue par la forme, ne semble pas finie. La matière n’est pas lissée, les détails ne sont pas réalisés. C’est en fait une façon de traduire la destruction, l’effondrement. Mais la figure est toujours debout, droite, le torse presque bombé vers le ciel. Ceux qui ont survécu doivent continuer de vivre fièrement. Goren, lui, a peint trois tableaux très colorés: Éclat de voix, Kotchari Farandole et Aipoupen Alphabet (visuel 9). Aucune souffrance ne se dégage de ces peintures. La première évoque le chant, la deuxième la danse et la troisième le savoir et les traditions. Voilà ce qu’est aujourd’hui la culture arménienne !
Henri Ghazerian nous exprime enfin sa vision, à travers sa peinture La Porte (visuel 10). La lumière jaillit mais l’ouverture est barrée par du rouge, du noir, des lignes qui se croisent. Cela nous semble pessimiste comme toile. Mais pour le peintre, c’est “comme une palissade, quelque chose mis provisoirement”, pour recréer un semblant de porte, nous explique-t-il. Henri Ghazerian ne veut pas être dans l’anecdotique, dans le figuratif. Il s’exprime au-delà des événements et laisse libre la perception des gens sur ses peintures. En faisant le parallèle avec la musique, il nous fait comprendre que l’abstrait permet à la vision de changer, aux ressentis d’évoluer, en fonction de notre vécu, de nos réflexions, du monde qui nous entoure.
“Sans temps”, c’est la commémoration des cent ans d’un génocide, d’un génocide sans temps dans la reconnaissance. C’est une manière de se souvenir mais aussi d’oublier le passé, pour regarder vers l’avenir, et s’intégrer au présent, par l’art par exemple. “Les artistes ont toujours gêné le pouvoir, car on ne peut pas saisir leur esprit”, nous confie pour finir Henri Ghazerian.
Visuels © Constance Delamarre
SEFERIAN Jean-Pierre, Le Désert (I et II), fusain sur papier Steinbach
ANI, La Marche, fonderie Landowski
ANI, Le Cri, 1995, calcaire de St Maximin
COZA, Ville, huile sur toile
SAMUELIAN Patrick, Un certain matin de 1915, photographie
NERCESSIAN Charles, L’Oeil de la mémoire, huile sur toile
ADJAR, A nos poètes disparus, huile sur toile
MATEOSSIAN Marguerite, Toujours debout, plâtre
GOREN, Éclat de voix, Kotchari Farandole et Aipoupen Alphabet, huile sur toile
GHAZERIEN Henri, La Porte, huile sur toile
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One thought on ““Sans temps, l’Arménie…”, exposition des Artistes Plasticiens Arméniens de France”
Commentaire(s)
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EOLMEZIAN
Bonjour et merci pour cet article.
Je reste à votre disposition si un jour vous souhaitez soit fair un article sur le jumelage avec l’Arménie, comme vous avez fait allusion, ou sur l’Arménie et les 6 voyages que j’ai déjà organisé.
Bien amicalement
Stépan EOLMEZIAN