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[Interview] Les Ogres de Barback : « notre musique porte la trace de nos origines »

[Interview] Les Ogres de Barback : « notre musique porte la trace de nos origines »

24 April 2015 | PAR Bastien Stisi

En 2010, Les Ogres de Barback jouaient à Erevan à l’occasion de la Fête de la Musique, rappelant ainsi en le faisant les origines arméniennes d’une famille (Les Ogres sont composés de quatre frères et sœurs) irrémédiablement marquée par le génocide dont on commémore aujourd’hui le centenaire. Fred, éminent membre du groupe et humaniste militant, revient avec nous sur ce rapport aux origines forcément particulier…

On trouve dans les médias et sur le net des choses assez vagues du rapport de votre famille au génocide arménien. J’aimerais ainsi que vous me précisiez la manière dont a été impliquée votre famille dans ce génocide…

Fred : Je suis issu d’une famille arménienne. La mère de mon père est arrivée en France à l’âge de 6 ans, juste après le génocide. On a toujours été très ancré dans la culture arménienne dans la famille, notamment au niveau de la nourriture. Par contre, ma grand-mère ne parlait arménien qu’avec sa tante, jamais avec nous. Mon père, lui, n’a jamais été très bavard à ce sujet. En grandissant, finalement, c’est plutôt nous qui nous sommes intéressés au sujet, et notamment à partir du moment où j’ai eu mon premier enfant. J’ai alors décidé de partir dans l’Arménie actuelle il y a dix ans, qui n’est en fait pas vraiment le pays de ma grand-mère (les frontières ont pas mal bougé) Depuis, j’y passe quelques jours tous les ans. J’ai fondé là-bas, à Pyunic (là où il y a eu le tremblement de terre) une association. On a notamment ouvert une école de musique là-bas, et on récolte des fonds pour payer une prof à l’année.

Dans « L’Arménienne », vous chantez « on ne me parle de ton histoire qu’en pire sujet d’information ». Est-ce aussi un reproche fait aux médias et  à l’histoire, qui a tendance avoir l’Arménie à travers ce prisme unique du génocide ?

Fred : C’est vrai que les seules images que j’avais de l’Arménie c’était ce génocide ou le tremblement de terre. Ou la mafia aussi. Quand on se rend sur place, à côté de la frontière, on s’aperçoit d’une chose, c’est qu’Arméniens et Turcs ont tous deux envie de rouvrir la frontière et de revivre le plus normalement possible. La diaspora a raison dans sa reconnaissance du génocide, mais ça bloque beaucoup de choses.

L’Arménie faisait partie de l’Empire Ottoman, et était censée se battre durant la Première Guerre Mondiale avec l’Allemagne. On sait que les Arméniens ne se sont finalement pas battus, qu’ils ont été accusés de désertion, et que ce fut le prétexte du génocide. Dans le grand tube « Grand-mère », vous parlez justement de « déserteurs »…

Fred : C’est intéressant comme analyse. Là en l’occurrence, c’est plutôt une grand-mère imaginaire rebellée contre tout, qui reflète une idéologie plutôt anar antimilitariste. Nous, notre principal engagement est dans notre manière de fonctionner. Humanistes, utopistes, fleur bleue, mais pas politiques. Utopistes. On veut parler au nom de la jeunesse, qu’elle soit turque, arménienne, israélienne, peu importe. On est une jeunesse mondiale.

On sait votre musique très inspirée par les instrumentations arméniennes. Est-ce parce que c’est une musique qui a bercé votre enfance, ou parce que vous estimez important de faire perdurer ça ?

Fred : Dès mon premier voyage là-bas, j’ai senti qu’il y avait une culture locale très forte. Paradoxalement, le pays actuel reste un tout petit pays enclavé, avec 3 frontières sur 4 de fermées, et une diaspora immense réparties à travers le monde (3 millions d’habitants dans l’Arménie actuelle, et plus de 3 millions dans cette diaspora…) Il a un besoin de s’ouvrir, et j’imagine que c’est aussi pour ça que nos chansons portent autant en elles les traces de nos origines.

Y a-t-il une scène musicale arménienne qui vaille le mérite d’être mentionnée ici ?

Fred : Tu as The Bambir, du rock progressif et ethnique jazz. Un groupe qui a été créé par les enfants des gens qu’on créé le groupe à la base. Tu as aussi Bratsch, Papiers d’Arménie, Macha Gharibian

Quel est votre rapport à la Turquie, qui refuse toujours de reconnaître officiellement son implication dans le génocide ?

Fred : On peut très bien aller jouer en Turquie demain. J’ai beaucoup d’amis turcs. Le prof de piano de mon père qui l’a fait venir en France, aussi, était turc. Il n’y a aucun problème avec ça.

Pensez-vous que l’œuvre, que l’on sait immensément engagée et philanthrope des Ogres de Barback, vient aussi de cette expérience familiale douloureuse et de ce passif que vous avez finalement tout en commun dans le groupe ?

Fred : Ça a dirigé nos chansons, forcément. On peut retrouver une sensibilité dans le rapprochement des peuples, je crois que ça a tout influencé. On a grandi dans une banlieue où les communautés étaient très mélangées, ce qui a sûrement également contribué à forger le discours qui a toujours été le nôtre. L’histoire fait mal mais c’est l’histoire. Nous, on a décidé d’écrire l’histoire devant notre porte, avec notre voisin.

Les Ogres de Barback viennent de sortir un live pour leur 20 ans d’existence. Il est disponible par ici.

 Visuel : (c) DR

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

One thought on “[Interview] Les Ogres de Barback : « notre musique porte la trace de nos origines »”

Commentaire(s)

  • Armen

    J’hallucine, c’est une blague ou quoi le “on sait au final que les arméniens ne se sont pas battus” !

    C’est juste l’argumentaire des négationnistes turcs que vous propagez de façon éhontée et bien naïve.

    D’où tenez vous votre information “on sait que …”? Vos propos sont d’une violence dont vous ne vous rendez pas compte.

    Les arméniens dans l’armée ont été désarmés. Votre phrase sous entend que l’armée de l’empire ottoman était composée d’armées de différentes nations indépendantes.

    Je suis révulsé par vos propos. C’est du révisionnisme, j’espère par une naïve ignorance.

    June 25, 2016 at 8 h 19 min

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