Expos
Quand la carte se fait aussi poétique que géopolitique, l’expo de l’été du Frac Lorraine

Quand la carte se fait aussi poétique que géopolitique, l’expo de l’été du Frac Lorraine

26 June 2016 | PAR Maïlys Celeux-Lanval

Autrefois, partir en vacances signifiait à coup sûr passer de longs moments en famille, serrés dans une voiture bouillante arrêtée sur un coin de route, à regarder sans rien y comprendre une énorme carte déployée sur le volant. Les uns fronçaient les sourcils, les autres, plus imaginatifs, laissaient leurs regards se perdent le long des routes sinueuses. Cette vision familiale qui fleure bon la nostalgie pré-GPS nous mène à vous parler de l’exposition estivale du Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Lorraine, situé dans le centre-ville de Metz : Zones sensibles est en effet dédié à l’ « obsession », elle l’avoue elle-même, de la commissaire du musée Béatrice Josse pour les cartes et les thématiques géopolitiques. Pour sa toute dernière exposition entre les murs du FRAC (avant de filer nous parler des nuages en septembre prochain au Magasin de Grenoble), elle fait fort et réunit ses artistes préférés avec une cohérence et un sens du récit qu’on ne lui connaissait pas. Chapeau !

Zones sensiblesLe FRAC Lorraine est sans conteste l’un des plus intéressants centres d’art contemporain de France, aussi avant-gardiste et engagé que sa très dynamique commissaire Béatrice Josse : guidé par des intentions écologiques et féministes, et une préférence pour les collections immatérielles, le FRAC a toujours su faire du bien à l’âme de ses visiteurs, en leur apportant un peu d’espoir et de clairvoyance dans ce monde si noir. Cette fois-ci, l’idée est de prendre des cartes du monde et de suivre le conseil donné par Yoko Ono en 1964, fièrement affiché dans la première salle : « Dessiner une carte pour se perdre ». Car l’heure est venue de désapprendre, déconstruire, dégenrer, il est temps de tout bousculer pour esquisser d’autres chemins. Car rien n’est fixe, la carte géographique n’est jamais aussi précise et vraie que l’on pourrait le croire : il ne faudrait pas la prendre pour acquise, se dire qu’elle est exacte, au contraire Zones sensibles rappelle que toute carte est plus ou moins subjective, tissée d’expériences poétiques (comme cette Pointe du Pourquoi Pas ? ou cette Île Inattendue mise en valeur dans les œuvres de David Renaud, passionné par les zones du monde aux noms atypiques), ou modelée par des conflits et des histoires douloureuses (comme l’indique Philippe Rekacewicz dans ses cartes de pays en guerre crayonnées au pastel gras, aussi enfantines que douloureuses).

Zones sensiblesLes paysages peuvent s’effondrer, comme le pan de montagne neigeux d’Elodie Pong sur lequel l’inscription orgueilleuse Plan for Victory s’efface dans une avalanche ; les cartes peuvent évoluer, changer, et finir chiffonnées entre les mains de Katrin Ströbel, comme cette carte de l’Inde de 1804 (cf photo). Ici les paysages sont choses mouvantes et peuvent être évoqués de manière poétique, narrative, comme chez l’artiste Marco Godinho qui récupère des petits morceaux de ficelle trouvées sur le long des routes, évoquant ainsi dans l’aléatoire et la couleur les chemins parcourus.

Zones sensiblesEnfin, l’artiste Nipan Oraniwesna offre à Zones Sensibles ses deux œuvres les plus minutieuses, issues d’un travail de fourmi absolument vertigineux : la première est constituée de cartes découpées selon les axes de circulation. Placées les unes au-dessus des autres, ces cartes de villes mélangent les rues, superposent les lignes de vie, proposant ainsi une appropriation toute particulière des espaces représentés, à la fois illisibles et très libres. Ce sens du gigantisme mêlé de précision clinique se retrouve dans l’œuvre finale de l’exposition, surprise entièrement blanche et lumineuse présentée dans la dernière salle du musée, la plus haute (cf photo) : sur un immense tissu blanc recouvert d’une fine couche de talc, l’artiste a représenté les cartes de 24 villes du monde, qui encore une fois s’emmêlent et troublent la vision classique de la cartographie. La carte n’est alors plus qu’un motif pris au pied de la lettre et recopié soigneusement, mais savamment brouillé et essentiellement fragile, puisqu’un simple éternuement pourrait tout effacer. Ainsi les cartes racontent, brouillent, dissimulent, révèlent. Ainsi les cartes font et défont le monde.

Informations pratiques :
Zones Sensibles au FRAC Lorraine
Du 24 juin au 23 octobre 2016

Infos pratiques

[Live report] Oxmo Puccino, Keziah Jones, Goose & The Shoes au Solidays
La playlist de la semaine (161)
Maïlys Celeux-Lanval

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration