« Pas dormir » de Marie Darrieussecq : Ses nuits ne sont pas plus belles que vos jours
Etrange livre que ce dernier livre de Marie Darrieussecq, publié chez Folio, dans lequel elle s’interroge sur ses insomnies.
Les livres de Marie Darrieussecq se suivent et ne se ressemblent pas. Après la biographie romancée d’une artiste peintre (Être ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker), la dystopie (Notre vie dans les forêts) et un roman sur les migrants (La Mer à l’envers), l’écrivaine nous propose un livre à la porte de l’essai et de l’autobiographie, Pas dormir, publié en 2021 chez P.O.L. Touchée depuis de nombreuses années par l’insomnie (la naissance de son premier enfant), l’écrivaine commence en janvier 2017 des « chroniques d’insomnie ». Ici, elle reprend tout de zéro pour nous expliquer ce que veiller veut dire.
Découpé en huit chapitres (« Grand sommeil en mon crâne », « Chercher si longuement », « Zones, gouffres, ravins »…), Pas dormir nous rappelle que de nombreux écrivains, et de nombreuses personnalités, ont été et sont victimes d’insomnies chroniques. Différentes des insomnies qui vous empêchent de dormir car un problème vous tracasse, les insomnies chroniques vous assaillent chaque nuit. Saint patron des insomniaques, Kafka évoque régulièrement dans son journal ses nuits agitées. A l’écrivain pragois ajoutez Cioran, Proust, Virginia Woolf, Borges, William Styron… La littérature, c’est d’ailleurs ce qui aide à tenir Marie Darrieussecq pour ne pas craquer : « Et quand je ne dors pas, j’ai envie de mourir, alors je lis ou j’essaie de lire ».
Exhaustif, le livre aborde l’angoisse de ne pas arriver à dormir, les médicaments avec lesquels on se drogue pour enfin trouver ce qui nous fuit, les quelques verres de vin qui détendent (« Pas énormément certes, deux ou trois ou quatre verres, mais que j’avais perdu la liberté de ne pas boire. »), la fatigue écrasante d’une journée après une nuit sans sommeil… Pour quelqu’un qui dort bien, le livre se révélera réellement angoissant, même si quelques moments amusants parcourent le livre, comme cette liste de techniques utilisées en vain pour faciliter l’endormissement. Ce qui rend également Pas dormir si intéressant, c’est la forme que prend le livre, une forme ludique, composé de citations, d’extraits de livres et de photos prises par l’auteur. Très intime, ce portrait de l’écrivaine en insomniaque séduit.
« L’insomnie est une des formes spiralées de l’angoisse. Dans la chambre sans fond, les murs palpitent. Ils s’écartent et se rapprochent. Ils perdent en pluie leurs molécules. Un nuage noir emplit l’air noir. Je respire les atomes des murs. Je deviens ces atomes. La nuit se pulvérise et me broie. Je suis malaxée dans la pâte dont sont faits les trous noirs, je me dissous dans l’antimatière de l’envers du monde… »
Pas dormir, Marie DARRIEUSSECQ, P.O.L éditeur, réédition Folio, 320 pages, 9,20 €
Visuel : Couverture du livre
