Fictions
« Silas Marner, le tisserand de Raveloe » de George Eliot : Tisser les liens du sang

« Silas Marner, le tisserand de Raveloe » de George Eliot : Tisser les liens du sang

23 January 2023 | PAR Julien Coquet

Le roman le plus court de George Eliot publié en 1861 a droit à une nouvelle édition chez Folio. Un grand texte.

Au début du XIXème siècle, dans une Angleterre qui n’a pas encore connu tous les bouleversements liés à la Révolution industrielle, Silas Marner, tisserand, s’installe à Raveloe. Ce village n’est pas loin de tout, peuplé de gueux mais « au contraire un village situé dans la riche plaine centrale de ce que nous nous plaisons à nommer la Joyeuse Angleterre ». Silas Marner vient de quitter une communauté religieuse étriquée, condamné pour un vol qu’il n’a pas commis. Son installation à Raveloe lui ouvre un nouveau champ des possibles. Se réfugiant dans le travail, parlant peu, Silas Marner intrigue également par ses crises de catalepsie et l’amour qu’il porte aux pièces qu’il accumule (« une créature bizarre et inexplicable qu’on regardait nécessairement avec un mélange d’étonnement, de curiosité et d’aversion et avec laquelle on écourtait autant que possible salutations et marchés »). Mais ce butin attire bien des convoitises.

Plus court roman de George Eliot (Le Moulin sur la Floss, Middlemarch et Daniel Deronda sont des pavés), Silas Marner « se donne à lire aussi comme un conte moral, opposant la solitude de la déshumanisation à la renaissance spirituelle par la redécouverte de relations humaines satisfaisantes » (Alain Jumeau). Car ce qui sauve Silas Marner de la solitude, c’est l’adoption de la petite Eppie, jeune enfant réfugiée chez Silas alors que sa mère meurt de froid. Dans une lettre à son éditeur, « l’autre George », comme l’appelle Mona Ozouf, dans sa comparaison avec George Sand, explique son projet : « mon roman éclaire, ou vise à éclairer, l’influence salvatrice des relations humaines pures et naturelles ». Chaque personnage est diablement caractérisé, et les relations qu’ils nouent dans le microcosme de Raveloe renforcent l’illusion de vérité. Si Silas Marner et madame Winthrop sont des gens modestes, Nancy Lammeter et Godfray Cass représentent les notables de la région.

Comme le remarque Marie Darrieussecq dans sa préface inédite, tous les ingrédients pour décrire la campagne anglaise du début du XIXème siècle et les ressorts romanesques pour construire un récit sont là : « le poids de la bienséance, la bonté bafouée, la faiblesse (souvent) des hommes et les force (souvent) des femmes, le respect non négociable du commerce, la méfiance envers les piétés trop impétueuses, le culte des jardins, l’insularité victorieuse (Trafalgar et Waterloo), le bon sens alcoolisé des habitués du pub, leurs plaisanteries mille fois éprouvées, leur sédentarisme pointilleux face à ce qui est neuf et nomade ». A ces éléments s’ajoute également une ambiance de conte moyenâgeux où les notables se déplacent à cheval, la chasse fait partie du quotidien, les villageois croient en Dieu dans le seul but de repousser le Malin… Roman de la reconstruction et de la renaissance, Silas Marner, le tisserand de Raveloe passionne par sa peinture sociale mais également par ses coups de théâtre. Et Darrrieussecq de conclure : « Silas Marner devient un livre radieux, comme un foyer qui tient chaud au cœur. »

« Maintenant qu’elle était grande, Silas avait souvent été amené dans ces moments d’épanchement paisible, qui s’offrent souvent à ceux qui vivent ensemble en toute affection, à lui parler à elle aussi du passé, à lui dire comment et pourquoi il avait vécu dans la solitude jusqu’à ce qu’elle lui soit envoyée. Car il n’aurait pas pu cacher à Eppie qu’elle n’était pas sa propre enfant : même si les commères de Raveloe avaient observé la réserve la plus délicate sur ce point en présence d’Eppie, on n’aurait pas pu éluder les questions qu’elle-même aurait posées sur sa mère en grandissant, sans jeter sur le passé un voile complet qui aurait été une pénible barrière entre les esprits. »

Silas Marner, le tisserand de Raveloe, George ELIOT, Traduction de Pierre Leyris, Edition nouvelle d’Alain Jumeau, Préface inédite de Marie Darrieussecq, Folio, 368 pages, 9,20 €

Visuel : Couverture du livre

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