
Avignon OFF : la tragédie de “La Mauvaise nuit”
Être au mauvais endroit, au mauvais moment, La Mauvaise nuit. Le passage à tabac d’un jeune homme par des policiers, un récit poignant à découvrir au Train Bleu durant le Festival d’Avignon.
La narration d’une tragédie
La Mauvaise nuit est l’histoire d’un passage à tabac, d’une mise à mort volontaire, causée par des policiers sans aucune raison. Un abus de pouvoir total, une perte de contrôle, un moyen de se défouler, de faire sortir une rage trop longtemps enfouie. La victime est Tano, un adolescent pas comme les autres, un peu simplet et victime d’un important désordre psychique.
La Mauvaise nuit n’est pas un récit qui met à l’aise. Il nous fait penser à tous ces faits divers, à toutes ces violences policières dont certaines finissent par un acte irrémédiable : la mort. Les policiers en viennent à tuer, mais pourquoi ? Pour aucune raison, parce qu’ils l’ont décidé, parce qu’ils en avaient le pouvoir. La persécution des plus faibles, de ceux qui ne peuvent se défendre, qui ne seront pas écoutés.
Tano n’est pas comme les autres
La victime de cette rage est Tano, un adolescent qui n’avait rien demandé mais qui se trouvait là quand il ne fallait pas. Un adolescent dont le médecin lui prescrit du Zyprexa, un médicament aux “propriétés antipsychotiques qui agit également comme régulateur de l’humeur”. Un adolescent à l’écoute des personnes qui l’entourent, qui vit du mieux qu’il le peut, qui tente de se contenir même si parfois il perd ses moyens et devient incontrôlable. Tano est un peu gros, il a du mal à s’exprimer, il est un peu maladroit mais il a un grand cœur. Ce qu’il déteste dans le monde, c’est l’arrogance.
En une heure, on apprend à le connaître et on s’attache à lui, même s’il ne faut pas, même si l’on sait déjà comment ça va se terminer. On ressent la douleur d’une perte injustifiée, la disparition soudaine d’une vie. Et sa vie avait beau être un peu bancale, Tano aurait aimé la poursuivre.
“Qui es-tu ?”
Tout part de cette simple question, qui n’en est pas vraiment une puisqu’il n’y a aucune réponse appropriée à donner. De cette simple question tout dérape, une plongée en enfer en seulement quelques minutes. Laurent Joly fait peur, il terrorise quand il entre dans la peau de ces policiers rongés par leur journée. A leurs voix rauques et emplies de méchanceté, il n’est pas possible de faire face. Tout en eux respire la rage de n’être rien.
Un narrateur extraordinaire
Ce seul en scène est réalisé par le comédien Laurent Joly et c’est avec entrain qu’il transmet le texte de Marco Balliani. Par ses mots, sa gestuelle, ses cris, il nous fait voir l’impensable, l’impardonnable. Sur le plateau, il est accompagné du strict nécessaire : deux enceintes, deux caisses en bois et les vêtements de Tano, étendus sur le sol, recroquevillés. Il n’a pas besoin de plus pour narrer et jouer son histoire.
Le texte est marqué par de “continuels changements de perception”, on passe d’un personnage à un autre, on change de corps et d’esprit. Cet entrelac de pensées, Laurent Joly le fait ressentir à la perfection. Il change de protagoniste comme de peau, passant de la victime aux bourreaux.
L’incarnation qu’il fait de Tano est totale : tout évolue en lui. Son regard devient en une seconde celui d’un enfant dépassé par ses pensées, qui passe d’un sujet à un autre ou reste bloqué sur un élément, les yeux perdus dans le vague. Par son seul regard, Laurent Joly exprime tout. Et puis, il y a ses mimiques, ses petits gestes parasites, sa façon de se tenir, ses doigts toujours dans une position étrange. Et sa façon de s’exprimer, de parler vite, de ne plus parler. Tano respire la vie dans le corps de Laurent Joly.
La Mauvaise nuit, une pièce écrite par Marco Balliani et mise en scène par Julien Kosellek, interprétée par Laurent Joly. Présentée du 8 au 27 juillet 2022, à 15h55 au Théâtre du Train Bleu, dans le cadre du festival Off d’Avignon. Relâches les 14 et 21 juillet.
Visuel : ©Affiche