
Cinéma du réel, édition 2022 : colères sociales en Compétition, et focus sur les documentaires contemporains d’Afrique
La quarante-quatrième édition du Festival international du film documentaire se déroule jusqu’au 20 mars à Paris, ménageant regards personnels à rencontrer et tentatives pour cerner de nouvelles pratiques en plein essor.
Avec son solide cortège de projections, de rencontres et de débats, Cinéma du réel revient pour prendre le pouls de certains sujets en profondeur, et faire un état des lieux des pratiques consistant à filmer la réalité et le monde à l’heure actuelle. En cette année 2022, le Festival propose notamment une immersion dans le documentaire contemporain d’Afrique, avec la volonté de convoquer chaque pays du continent via de nombreuses séances (dont une sous le signe de la rétrospective Tigritudes). Avec parmi les œuvres projetées celles de figures tutélaires, mises en dialogue avec « la programmation contemporaine qui rassemble 24 films réalisés ces quatre dernières années par la plus jeune génération » : une « Afrique documentaire en plein essor, du Maghreb à l’Afrique du Sud, qu’elle soit francophone, anglophone, lusophone ou arabophone », présentée ainsi selon les mots de Catherine Bizern, Déléguée Générale de Cinéma du réel.
Produire en Afrique, être engagé, créer des images documentaires aujourd’hui
Six programmateurs officiant pour certains au sein des festivals se déroulant dans ces pays d’Afrique – Claire Diao, Jihan El-Tahri, Mohamed Saïd Ouma, Pedro Pimenta, Ikbal Zalila et Mandisa Zitha – se voient aussi offrir une Carte blanche dans ce programme, dans lequel figure également un ensemble de cinq études de cas ayant pour objet la question « Produire en Afrique ». Cinq études selon cinq ères géographiques, pour tenter de donner à voir la diversité des conditions de financement, de création et de production du documentaire sur le continent d’Afrique de nos jours – conditions souvent tributaires des pays eux-mêmes, de leurs fondements et situation actuelle – et pour considérer comment « dans le contexte de cette pluralité […] certains s’engagent dans une collaboration panafricaine pour le développement, la production et la circulation des œuvres », toujours selon les mots de Catherine Bizern.
Au programme également en cette édition 2022, la traditionnelle section Front(s) populaire(s), consacrée aux films engagés et parlant d’engagements. Avec cette année la volonté de se concentrer sur l’appropriation par les citoyens de lieux publics, pour faire entendre leurs voix et s’affirmer « en tant que groupe et en tant qu’individu » : « l’activisme des personnes trans dans la révolution féministe, […] l’expression des Gilets jaunes et la mise en œuvre d’une mairie sans maire, sont autant de surgissements au grand jour de la possibilité d’un nouveau monde, d’une nouvelle atmosphère », écrit Catherine Bizern, rappelant aussi que la programmation de cette section « démarre par la commémoration des événements de Gênes il y a 20 ans ».
On note également le retour de la section Première fenêtre, qui dévoilera ses films courts de réalisateurs encore peu connus, comme chaque année. Avec aussi, toujours, la tenue de PARISDOC, volet professionnel du Festival et temps d’échanges entre nouveaux entrants dans le secteur du documentaire, réalisateurs déjà un peu remarqués avec nouveaux projets, et producteurs et diffuseurs de tous types, entre autres (via les WIP et les Rendez-vous européens du documentaire de Patrimoine). Avec pour buts selon Catherine Bizern de « renforcer la circulation du cinéma documentaire indépendant au niveau européen et international […] l’innovation, la souplesse et le particularisme qui sied au documentaire, la qualité de prototype de tout film documentaire et la dimension artisanale [du] secteur ». Avec notamment au programme un atelier « Démontage d’un montage » à destination des étudiants documentaristes et nouveaux entrants dans la profession, autour du film Soy libre de Laure Portier, en salles depuis le 9 mars et sélectionné dans le cadre de la programmation Acid Cannes 2021. Cette année voit aussi dans cette section l’inauguration du programme First Contact, « nouvelle proposition de mise en relation des auteurs avec les producteurs autour de projets en cours d’écriture ».
Aura également lieu enfin, le Mercredi 16 mars, le « Festival parlé » avec ses tables rondes, consacrées cette fois à la question de la vérité, et centrées sur les rapports de cette dernière avec le document (Table ronde « Qu’est-ce qu’on voit ? – Une architecture de la preuve ») et avec la fiction (« Jouer, rejouer, déjouer. Faire œuvre de vérité »).
Gilets jaunes et femmes brésiliennes toutes en colère froide
Comme chaque année au sein du Festival, la traditionnelle Compétition dévoile aussi, au fil de la manifestation, ses films concourant pour différentes récompenses, parmi lesquelles le Grand Prix Cinéma du réel. Le long-métrage documentaire français Boum Boum est de ceux-ci : sa réalisatrice, Laurie Lassalle, y livre les images du mouvement des Gilets jaunes qu’elle a filmées dans Paris, fin 2018 et en 2019. Son parti-pris est de relier ces phases de soulèvement faisant souffler l’idée d’un monde différent à une passion qu’elle vécut au cœur de cette période, avec un jeune contestataire très impliqué dans les manifestations. Elle tente ainsi de donner à ressentir, via des images du réel et des dialogues avec des participants, les énergies en présence lors de ces rassemblements, mêlées à son ressenti à elle, traduit dans les plans de manière un peu plus abstraite. L’impression que l’on éprouve dans tous les cas à la sortie de Boum Boum – qui sortira dans les salles françaises le 15 juin, distribué par JHR Films – est celle d’avoir côtoyé différentes idées et pensées se croisant, et se rencontrant parfois. Les séquences longues dans lesquelles la réalisatrice récolte la parole de ceux qui veulent bien se livrer à elle et partager ce qui les motive à se trouver ici laissent le temps au spectateur de recevoir ces mots, et d’amorcer lui aussi un quasi dialogue avec eux.
Présenté également en Compétition pour le Grand Prix Cinéma du réel, Dry Ground Burning adopte, sur plus de deux heures trente, une approche très différente : il s’inspire de faits réels, mais se livre à des reconstitutions, pour évoquer la trajectoire de plusieurs jeunes femmes issues d’une favela brésilienne. Avec l’une d’elle qui choisit d’installer une raffinerie clandestine pour pomper le pétrole des oléoducs souterrains, et bien des événements qui s’ensuivent : fondation d’un mouvement politique destiné à défendre les plus faibles, affaires avec des motards délinquants, passages par la prison. Et avec l’ombre du pouvoir façon Bolsonaro qui guette… Le duo de cinéastes Adirley Queiros Andrade et Joana Pimenta livre ici un film qui égare parfois du fait de son mélange de temporalités, ainsi que de confessions « en direct » et de faits reconstitués, mais qui interpelle et captive un peu l’attention tout de même du fait de l’énergie toute de colère rentrée qui l’irrigue. Avec encore une fois, des séquences longues, qui si elles semblent ici un peu trop étirées en certains cas, amènent cependant à ressentir la respiration du dur territoire décrit.
Le Cinéma du réel, Festival international du film documentaire, se poursuit jusqu’au dimanche 20 mars. Informations et réservations : https://www.cinemadureel.org/
Visuel 1 : détail de l’affiche de l’édition 2022 de Cinéma du réel
Visuel 2 : Dry Ground Burning © Terratreme FIlmes / Cinco Da Norte