
Au 25e Étrange Festival, “Ni dieux ni maîtres” fascine avec sa forme forte
Film français en forme de pari risqué, Ni dieux ni maîtres constitue une équipée sauvage en pleine campagne du Moyen-Âge, qui parvient à fasciner grâce à l’univers qu’elle donne patiemment à explorer et à ses choix de réalisation cohérents et beaux. A voir bientôt en salles, avec The Jokers (Parasite) à la distribution.
Présenté au sein de la section Mondovision de l’Étrange Festival 2019, qui se tient jusqu’au 15 septembre au Forum des Images, à Paris, Ni dieux ni maîtres apparaît comme un film étonnant, principalement en raison de ses enjeux : il prend place dans un domaine rural dominé par un Seigneur sûr de sa force, au cours du Moyen-Âge français, et adopte le point de vue de ses occupants, et partant leur horizon d’attente. Jamais le scénario ne part ouvertement dans une direction générale : il reste concentré sur les relations (de force, de méfiance, de camaraderie) que ses protagonistes entretiennent entre eux, et sur les événements qui les amènent à agir. Des événements qui, dans le contexte où ils vivent, sont tristement banals… Mais qui prennent, en creux, un caractère plus que tragique et une valeur universelle, tant le film reste focalisé sur son cadre, qu’il observe avec une attention fascinée. Un cadre qui navigue entre réalisme et légende, on s’en rend compte.
Lors de sa récolte de plantes médicinales, une jeune fille, apprentie guérisseuse (Jenna Thiam, sobre et bouillonnante), est sauvée de la mort par un jeune homme étranger à la région (Saleh Bakri, mutique et magnétique). Hébergé pour une nuit chez le père de la jeune femme, il provoque la venue, au sein des habitations paysannes, du seigneur Ocam (Pascal Greggory, immense), qui réclame à faire valoir son droit de cuissage du fait de cet accueil impromptu. La jeune fille est donc emmenée, et aussitôt, quelques hommes de son hameau se mettent sur le pied de guerre pour partir la délivrer.
Rapidement, au sein de Ni dieux ni maîtres, la progression dramatique apparaît réduite à l’essentiel, et les scènes s’attachent surtout, dès lors, à décrire personnages et contextes, et partant à donner à voir, à vivre et à ressentir selon quelles règles fonctionne l’univers qui nous est peint.
Une réalisation tranchée
C’est là que la réalisation d’Éric Cherrière (signataire de Cruel, sorti en 2017) entre en jeu : elle s’attache à saisir les visages, et les gestes, éclairés par la lumière des torches, en gros plans. Des plans qui durent, laissant le temps pour que les protagonistes et leurs actes atteignent à un certain mystère, et pas à quelque chose d’explicatif. Et les dialogues, déroulés avec un ton réaliste mais mesuré, viennent dès lors fort bien se mêler à ces images, et prennent une force très évocatrice.
Du fait de cet alliage, les mots et les figures qui s’activent à l’écran prennent une coloration impressionnante, entre humanité terrible et légende pure : en certains endroits, un passage violent se trouve ainsi évoqué verbalement, à coups de phrases chargées d’intensité et pleinement incarnées, plutôt que montré. On se remémore ainsi la Châtelaine, prophétisant des actes sexuels à venir… Ou un prisonnier en cage, auquel Matila Malliarakis prête son jeu physique inquiet. Pas tous dotés de scènes individuelles, en raison de la durée brève du film, les Chevaliers (Guillaume Tobo, incroyablement incarné et graphique, ou encore Jérôme Le Banner…) qui entourent le seigneur Ocam se nimbent, dans les séquences où ils sont filmés, d’une étrangeté inquiétante, qui fait ressortir leurs particularités à tous, et leur physique comme leur caractère. Une mise en lumière qui transfigure aussi le beau personnage-clé joué par Isabelle Desesquelles.
Lyrisme et scènes d’action
Et dans cet univers aux règles dures et difficiles à mettre à mal, le film invite, le temps de quelques passages, un peu de lyrisme : lors d’une séquence gestuelle incroyable, toute simple et douce et pourtant guerrière, le seigneur Ocam frappe de façon fictive les Chevaliers qui l’entourent, afin de se décharger des énergies de combattant qui continuent à l’habiter. Soutenue par la musique d’Olivier Cussac, cette scène éblouit par sa réalisation.
Ni dieux ni maîtres est également un film avec des scènes de combat, à la hache, à l’épée ou à la chaîne d’attaque. Ceux-ci apparaissent rythmés, et pas trop esthétisés : la caméra paraît, encore une fois, vouloir davantage s’attacher aux effets produits par les coups portés sur les combattants, plutôt qu’aux techniques de lutte et aux cascades. Le spectateur halète donc, aux côtés des belligérants.
Devant cette cohérence entre forme et fond, on pardonne quelques imperfections : des ralentis pas forcément essentiels, certains dialogues moins audibles… Et on reste attaché tout du long à ces figures qui, rapidement, fascinent l’œil et l’ouïe. Au premier rang desquelles s’impose Pascal Greggory, ici plus que jamais impressionnant et habité par des forces et des passions brûlantes, qu’il convoque avec parcimonie à travers ses gestes et ses regards chauffés à blanc.
Produit par Logical Pictures et Ran Entertainment, Ni dieux ni maîtres sortira dans les salles françaises bientôt, distribué par The Jokers (les distributeurs de Parasite, la dernière Palme d’or à Cannes, entre autres).
Toutes les séances à voir dans le cadre du 25e Étrange Festival ici
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Visuel 1 : ©Franck Alix
Visuel 2 : L’équipe du film à l’Etrange Festival © Geoffrey Nabavian
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2 thoughts on “Au 25e Étrange Festival, “Ni dieux ni maîtres” fascine avec sa forme forte”
Commentaire(s)
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Gély Véronique
Merci
J’étais Cheffe maquilleuse/coiffeuse sur ce projet
Heureuse de lire cette critique
Fauconnet arnaud
Très envie de l’entendre et surtout le voir.c’est quand c’est vite?