Cinema
[Critique] “9 doigts” : objet avant-gardiste avec de la substance

[Critique] “9 doigts” : objet avant-gardiste avec de la substance

12 February 2018 | PAR Geoffrey Nabavian

Aux 18e Journées Cinématographiques Dionysiennes, qui se poursuivent jusqu’au 13 février, et sont placées sous le signe des images rebelles, F.J. Ossang compte parmi les invités d’honneur. C’est donc tout naturellement que son cinquième long-métrage en plus de trente ans de carrière, 9 doigts, a pu y faire l’objet d’une avant-première.

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9 doigts, c’est un chef de gang que les spectateurs ne verront jamais à l’écran, en une heure trente-quatre de projection. Ce nouveau film vraiment hors des sentiers battus signé par F.J. Ossang compte aussi un autre nom de code d’importance : le Nowheresland. Une sorte de très grande île au pouvoir assez dangereux – qu’on ne verra jamais apparaître non plus – près de laquelle les personnages de l’oeuvre naviguent, à un moment. Oui, l’essentiel de l’action du récit se passe sur un bateau, après quelques scènes sur des routes mal famées ou dans des maisons occupées par des gangs. Et le film associe à sa photo en noir et blanc des dialogues très écrits. Et côté fond ? L’ambition semble être de signer un film mettant en scène une bande de malfaiteurs, ni plus ni moins. Des hommes confrontés à des objectifs mystérieux, peints de manière très, très, très distanciée.

On l’aura compris : 9 doigts est un film à part, hors-normes, qui trouve naturellement sa place au sein de manifestations telles que l’Étrange Festival, ou les 18e Journées Cinématographiques Dionysiennes, placées sous la thématique Images rebelles. F.J. Ossang reste un réalisateur qui creuse depuis bien longtemps son sillon à lui, tout en étant par ailleurs musicien ou auteur. Les titres de ses précédents longs-métrages laissent imaginer un univers fait d’armes et de mystères à résoudre : L’Affaire des divisions Morituri (1985), Le Trésor des Îles Chiennes (1991), Docteur Chance (1998), Dharma Guns – La Succession Starkov (2011). Bon. Mais dans 9 doigts, à l’écran, que voit-on ? Sans chef de gang, sans île hantée, sans menace directe et sans scènes d’action, qu’y a-t-il à l’image ? Une suite de scènes dialoguées détaillant des plans et des manœuvres à suivre, ou servant à ce que leurs protagonistes constatent, à voix haute, qu’ils s’égarent ou qu’ils trouvent que leur univers se délite. Le chef technique de la bande de malfaiteurs est joué par Damien Bonnard (révélation de Rester vertical) : précis, habité, il lance ses hommes dans une fuite, qui va s’étendre sur tout le film. Le vieux sage du groupe est incarné par un Pascal Greggory à la belle présence : pour sa part, il sera la star d’une scène de beuverie en bateau, plus loin dans le film, dans laquelle il constatera que “rien ne va“, que la bande “s’est laissée détourner de son chemin par le Nowheresland, qui l’a infectée“, ou autres choses approchantes. Il y a aussi un “héros”, dans l’histoire : un fuyard, tombé au mauvais endroit, joué par Paul Hamy (révélation de Suzanne,  graphique comme un personnage de roman noir, mais doté d’une élocution pas toujours évidente). Dans un univers assez indistinct, les membres de cette troupe débitent leurs phrases dans un langage crypté, et tentent de rendre les répliques plus vitales les unes que les autres, mais de façon distanciée.

La proposition est intéressante. Le film constitue une vraie tentative. Lors de certaines scènes, une sorte de désespoir tragi-comique arrive à se lever, à coups de dialogues étranges dits de manière très engagée. Le parti-pris de mise en scène est tenu. Et au final, 9 doigts semble vouloir atteindre à une sorte de poésie, à la fois formelle, ironique et triste. On remarque aussi Gaspard Ulliel, qui apparaît pour trois scènes à un moment du film. Bon, le rythme de l’oeuvre pourra en décourager plus d’un : lent, sans direction claire, il fait s’avancer le scénario cahin-caha, et participe à l’atmosphère engluée dans laquelle le film veut plonger. Si l’on accepte de faire des efforts pour goûter à cet univers, on peut retirer de la projection un ton particulier, très avant-gardiste, et qui vaut bien plusieurs visions, ou une intégrale de l’oeuvre du bonhomme.

9 doigts sortira en salles le 21 mars.

F.J. Ossang se trouvait le dimanche 11 février, entre autres, aux Journées Cinématographiques Dionysiennes, au cinéma L’Ecran à Saint-Denis, en tant qu’invité d’honneur, pour présenter l’avant-première et parler avec l’auteure Michèle Collery.

Les 18e Journées Cinématographiques Dionysiennes, qui reçoivent entre autres Larry Clark le soir du 12 février, pour une Master Class prévue à 19h, se poursuivent jusqu’au 13 février.

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Visuels : © Christian-Bamale / productions OSS100

Affiche officielle de 9 doigts

Infos pratiques

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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