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Lee Ufan, le ressenti de l’art

Lee Ufan, le ressenti de l’art

02 March 2019 | PAR Laetitia Larralde

Si le travail de Lee Ufan est identifiable, qu’il est reconnu, sa discrétion et son apparente simplicité font qu’on peut facilement passer à côté. L’exposition monographique du centre Pompidou Metz se propose donc au travers d’un parcours thématique de mettre en lumière cinquante ans de travail et de concepts et de nous initier au langage sans mots de Lee Ufan.

Trente-sept œuvres sont réunies et forment un ensemble homogène et hors du temps, hors du monde. Les liens avec le monde extérieur sont pourtant présents, par le biais des matériaux bruts comme ces pierres qui ponctuent l’œuvre de l’artiste. Mais en entrant dans l’exposition, on met le pied dans un univers parallèle, où le rythme se ralentit, l’extérieur se transforme en métaphore de lui-même, et le temps s’étire dans une infinité de possibilités. On se retire un instant d’une société saturée d’images et de messages pour se recentrer sur notre ressenti corporel, et le dialogue qui s’instaure doucement avec les œuvres.

Le langage mis en place par Lee Ufan n’utilise ni mots ni éléments figuratifs. Pour atteindre une communication universelle, il passe par le ressenti physique, par les dialogues et les tensions qui s’instaurent entre les matériaux, les œuvres, l’espace et les spectateurs. Il invite le public à prendre conscience de tout ce qui constitue l’œuvre : la peinture ou la sculpture en soi, mais aussi l’espace qui l’entoure, les ombres, les sons, et notre propre perception. Cette perception, encombrée de préjugés et de préconçus, est bousculée. L’effet est très sensible dans la salle regroupant les toiles aux couleurs fluorescentes industrielles Landscape I, II et III qui font vibrer l’espace de la pièce, transforment les couleurs environnantes et créent une distorsion à la fois visuelle et temporelle qui nous enveloppe et nous inclut dans l’espace artistique ainsi créé. Le ressenti de l’œuvre est immédiat, sans obstacle de langue ou de référence culturelle.

Poursuivant la réflexion et les recherches entreprises dans les années 1960-1970 avec l’école Mono-ha sur les dialogues entre matériaux bruts et industriels et l’espace environnant, Lee Ufan crée des situations à expérimenter par le spectateur où la compréhension serait la plus directe possible. Pour cela, il cherche à éliminer au mieux l’intermédiaire qu’est l’artiste. L’œuvre ne doit pas être alourdie par une surcouche de concept reflétant l’égo du créateur, qui ne devrait être qu’un vecteur de transmission, un filtre entre le monde extérieur et le spectateur. Les plaques d’acier portent encore la marque des manufacturiers par exemple, ou le trait de pinceau de la série From/With winds est définie hors de la volonté de l’artiste, en suivant les variables extérieures.
De plus, si Lee Ufan accepte de ne pas maîtriser complètement l’étape de création, ni l’interprétation du public, il ne fige pas non plus ses installations dans une forme fixe. Les œuvres s’adaptent à leur espace d’exposition, et si le principe général reste le même, la forme évolue comme une matière vivante et fluctuante. Ceci rend chaque exposition unique, et au Centre Pompidou Metz, l’espace a été méticuleusement pensé, bien que l’on ne s’en rende pas immédiatement compte. L’épaisseur des cloisons, l’emplacement des ouvertures, les proportions des salles et peut-être même les reflets des œuvres au sol participent à une mise en scène discrète mais totale.
Ultime touche à l’exposition, le compositeur Ryuichi Sakamoto a tenu à créer la bande-son qui accompagne l’exposition. Son travail sur les propriétés sonores des matériaux bruts, en lien direct avec les idées de Mono-ha, se diffuse en continu dans certaines salles, à un volume défini, et complète les installations en interpellant un autre de nos sens.

L’œuvre de Lee Ufan est à la fois hybride et unique. Elle réunit les références culturelles coréennes, japonaises et occidentales, notamment françaises et allemandes, s’étend de la peinture à l’installation, en passant par la sculpture et la poésie, et ne s’inscrit réellement dans aucun mouvement contemporain. Le cabinet de dessins, qui transpose les mêmes recherches sur un support à l’approche plus intime, ne fait que confirmer que la pensée de Lee Ufan est homogène et très construite, et transcende la forme et le medium.
Plus qu’une exposition monographique, c’est une proposition didactique sur la conception de l’art, une déambulation méditative qui questionne notre rapport au monde, au temps et à l’infini.

Lee Ufan – Habiter le temps
Du 27 février au 30 septembre 2019
Centre Pompidou Metz

Visuels : 1- Peinture à l’eau sur les pierres, 1998, Vallée Hakone © Atelier Lee Ufan et tous droits réservés / 2- Lee Ufan – Landscape I, Landscape II, Landscape III – 1968 ? – Photo by Nobutada Omote – Courtesy of SCAI THE BATHHOUSE © Adagp Paris, 2018 / 3- Lee Ufan, From Line, 1974 – Oil on canvas, 181.6 x 227 cm – New York, Museum of Modern Art (MoMA) © 2018. Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence © Adagp, Paris, 2018 / 4- Lee Ufan, La peinture ensevelie…, 2013 – Installation : sable, pierre, huile et pigments minéraux sur toile – Dimensions variables – Vue de l’exposition « Lee Ufan », kamel mennour (6 rue du Pont de Lodi), Paris – Photo archives kamel mennour – Courtesy the artist and kamel mennour, Paris/London © Adagp, Paris, 2018

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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