
Cannes 2018, Un certain regard : “Mon tissu préféré”, et son onirisme intéressant
Signé par Gaya Jiji, réalisatrice syrienne ayant fait ses classes en France, ce récit sombre de l’émancipation d’une jeune fille marque par ses séquences de rêve maîtrisées.
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Mon tissu préféré est l’histoire de Nahla : une jeune femme qui étouffe parce qu’elle est vierge, et mène une vie sans hommes. Ce récit se déroule en Syrie, quelques temps avant le début de la guerre civile en 2011. Réalisé par la cinéaste syrienne Gaya Jiji, lauréate du Prix Women in Motion de la fondation Kering à Cannes 2016, Mon tissu préféré se révèle assez vite être un film sobre. Il offre un tableau d’une frange de la société syrienne d’avant-guerre civile qui semble juste – selon un point de vue de spectateur qui ne connaît pas la Syrie – et qui donne à sentir les relations entre hommes et femmes, dans le milieu qu’il décrit. A ce titre, la jeune Nahla ressent la culture dans laquelle elle vit comme un poids, d’autant plus que sa famille n’est pas bien riche.
Par-dessus ce contexte, transmis de façon sensible et pas trop appuyée, s’ajoute la guerre civile et les changements qui approchent, mais le film passe au final assez peu de temps sur ces volets : il laisse s’exprimer les positions des membres de la famille de Nahla quant à ces troubles, et filme des personnages secondaires qui donnent leur opinion aussi. Mais cet avenir qui s’annonce n’est pas le sujet central. On comprend juste qu’il va induire des changements.
Le véritable intérêt de Mon tissu préféré réside dans le parcours de sa jeune héroïne vers l’émancipation. Ses sentiments troublés et ses envies sont transmis par l’intermédiaire de séquences oniriques très maîtrisées. Entre images réalistes et décalage minimal, ces scènes traduisent la perte des illusions de Nahla, en même temps que son avancée vers le concret : elle s’imagine d’abord un amoureux (joué par Metin Akdülger), et va même jusqu’à louer une chambre à sa nouvelle voisine pour y passer du temps à… rêver à cet amoureux. Cette situation, forte, trouve son pendant dans la réalité que la jeune héroïne découvre : l’appartement de cette voisine sert de lieu de prostitution. Et Nahla y aperçoit le mystérieux compagnon qu’elle idéalisait…
La suite du film montre la jeune fille occupée à réagir, décidée à faire son chemin elle-même malgré les obstacles qu’elle rencontre. Si Mon tissu préféré connaît parfois des baisses de rythme, son univers est tracé avec une originalité de point de vue. Et ses interprètes sont splendides, qu’il s’agisse de la brillante Manal Issa (Peur de rien, Nocturama) dans le rôle principal, d’Ula Tabari, qui joue la mystérieuse voisine, ou de Saad Lostan, excellent dans un rôle-clé. On se trouve, au final, face à un film qui donne envie de suivre sa réalisatrice dans ses prochains travaux.
Film présenté à Cannes 2018 dans la section Un Certain Regard, Mon tissu préféré sortira dans les salles françaises le 18 juillet.
Geoffrey Nabavian
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Visuels : © Sophie Dulac Distribution