
Renaud Philippot: la tendresse et l’angoisse, en mode singulier
Pionnier en France dans l’exposition de ces courants, le Musée d’art naïf et d’arts singuliers (Manas) de Laval, accueille, en préambule au parcours à travers sa remarquable collection, une très belle petite exposition du peintre vannetais Renaud Philippot.
Par Mikaël Faujour.
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Le trait est enfantin, plein de rondeurs, mais non pas insouciant. Chez Renaud Philippot, le plaisir de peindre, qui semble évident, et la douceur même qui émane de certaines œuvres semble ne jamais exclure tout à fait les remontées de ce que Henri Michaux nommait le « lointain intérieur ». D’un même mouvement vont la tendresse et le cri, la suavité et la peur, le mouvement vers autrui et le repli dans les obsessions.
Un « bestiaire » fait de quelques chats mystérieux, un Chat noir aux yeux humanisés, des poissons rouges qui paraissent user d’un arc pour se protéger d’un autre chat aux oreilles pareilles à des cornes diaboliques (Méchant) – et des visages, beaucoup de visages – : les motifs et le vocabulaire formel, celui d’un art brut, en tout cas spontané, ont une beauté en quelque sorte primitive, instinctive, immédiate. Le bestiaire, mais non moins les visages nantis de bras et de jambes comme des dessins enfantins, rappellent des créatures d’horreur qui peuplent parfois les nuits de la petite enfance, des présences surgies moins du fond des âges, que du fond de l’inconscient. Certaines sont électriques, incandescentes, peut-être travaillées par la colère ou par la musique qui traverse Renaud Philippot quand il peint (les titres Fantaisie militaire et Utero – la plus belle et pénétrante des peintures exposées – assument la référence à Bashung et Nirvana), mais d’autres aussi sont d’une douceur de tons aussi francs et sans faux-semblant que l’artiste lui-même.
Le visage surtout, peint ou sculpté, revient comme une obsession, comme un effort sans fin à comprendre l’altérité, à la représenter, à pénétrer par-delà le visage, les visages – profils stylisés ou frontalité aux allures puissantes de masque tribal –, à dire, en nuances d’allégresse (Le Jongleur, Les Skieuses) ou de tourment, cette difficile et exigeante fatalité d’être social.
À contempler les œuvres, dont une bonne partie est issue de la sélection de Didier Simon et Isabelle Pasco, grands collectionneurs d’arts singuliers installés en Bretagne, on devine combien ce à quoi se livre l’artiste n’est pas un passe-temps, mais cet engagement intégral, vital, qui lui fait affirmer : « La peinture a sauvé ma vie chaotique, elle m’accompagne tous les jours », ou encore : « Quand je ne peindrai plus ni ne dessinerai plus, je serai mort. »
Renaud Philippot, jusqu’au 24 juin 2018, Musée d’art naïf et d’arts singuliers, Place de Trémoille, Laval.
visuels (c) Une Vision singulière, galerie d’art.