
Muette : Eric Pessan subtile petite voix intérieure d’une adolescente en fugue
L’auteur de « L’effacement du monde » (2001), “Incident de personne”(2010) et « Plus haut que les oiseaux » (2012) brosse un portrait généreux et intérieur d’une adolescente que le mal d’expression et l’impression d’être incomprise pousse à fuguer vers un refuge dans la nature. Une langue bruissante et belle.
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L’été est là et l’adolescente « Muette » – surnommée ainsi plutôt méchamment à cause de sa difficulté à exprimer ses émotions – sent monter en elle une sève que sa mère, avec ses expressions toutes faites, son œil ultra-critique et ses découragements, ne saurait comprendre. Lasse de se voir brimée dans ses élans et admonestée pour chaque geste, espérant également attirer un peu l’attention sur ce qu’il y a derrière son silence et son acte, celle qui n’est plus tout à fait une petite-fille prend des provisions et fugue. Elle se réfugie dans une cabane, à une heure de route de chez elle. Le long des champs de Tournesol et une fois la planque atteinte, nous suivons les réflexions de cette jeune-femme bien décidée à faire valoir son point de vue sur le monde.
Mêlant échos prosaïques des sentences parentales, observations de son héroïne et fulgurances de phrases qu’elle est en train de penser, « Muette » change de registre d’énonciation avec dextérité. Le joli texte d’Eric Pessan capture sans jamais bêtement l’idéaliser, tout le mystère à bout de souffle et d’angoisse d’une adolescence où tout est encore à diriger et à former. Un roman plein de poésie et de nature.
Eric Pessan, “Muette”, 212 p., Albin Michel, 16.50 euros. Sortie le 22 août 2013.
« La chaleur se glisse dans la grange, Muette transpire. Le soleil chauffe les tôles. Muette repense au moment où ses parents seront forcés de comprendre qu’elle a disparu. Son père, elle le sait, agira sans plan ni méthode, seulement guidé par la colère
Jusqu’au bout elle nous fera chier
Il partira sans même penser à ce qu’il ferait dans l’hypothèse où il la trouverait. Muette sourit. Des jours durant, son père serait capable de quadriller sans relâche les départementales du coin. ET si finalement son père l’apercevait sur un chemin, accélérerait-il pour mettre un point final à tous les problèmes qu’elle cause ?
Putain de gamine, tiens.
Mais Muette sait bien qu’il ne le ferait pas. Dans la famille, on tue à force de silences rentrés ou à force d’éviter de poser les bonnes questions. On ne tue pas en vrai. » p. 53
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