Cinema

[Live-report ] : Festival International du film de la Roche-sur-Yon, Panorama du ciné-monde

29 October 2012 | PAR La Rédaction

Passage-éclair, le week-end du 20 et 21 octobre, à la troisième édition du Festival international du film de la Roche-sur-Yon. Arrivée samedi midi. Quatre films et une conférence plus tard il fallait déjà repartir. De cet aperçu du festival – aussi incomplet qu’aléatoire – se dégage néanmoins la cohérence d’une manifestation organisée à la croisée de deux chemins. Alors que l’un mène à la fin du monde et au début de l’amour, l’autre conduit à la fin de l’amour et au début du monde.

A peine arrivées sous la pluie, deux silhouettes, côte à côte, se détachent puis se laissent identifier : le grand, athlétique et imposant dans son trench, c’est Melvil Poupaud, le petit, mains dans le dos et démarche tranquille, c’est Jean-Pierre Léaud. Les deux enfants du cinéma français. Le plus jeune est venu en tant que membre du jury ainsi que pour présenter un hommage à Raul Ruiz. L’aîné, lui, fait l’objet d’une rétrospective qui a le format des digests : seulement dix films sur cinquante-quatre ans de carrière, mais présentés comme étant “parmi les plus riches”.

Cette image des deux anciens enfants formait – on le découvrirait plus tard – une parfaite introduction à l’expérience que l’on a eue du festival : elle convoque des souvenirs de cinéma, des visages de garçons qui se laissent filmer pour la première fois, en même temps qu’elle évoque les plus récentes apparitions des deux acteurs. Leur présence conjointe dit cela : la révélation et le constat – l’émotion que provoqua la découverte de ces deux comédiens et le réconfort de les voir toujours parmi nous.

Justement, la révélation et le constat étaient au cœur d’une programmation qui hébergeait une sélection consacrée à l’Apocalypse au cinéma et une conférence à propos de la critique sur Internet aujourd’hui.

Présenté dans la sélection “L’Apocalypse-cinéma” programmée par le philosophe et musicologue Peter Szendy, The Hole du Taïwanais Miang-liang Tsai rejoint, sans tambour ni trompette, les films du type “fin du monde”. L’Apocalypse y est un mouvement discret, effectuant son petit travail de sape comme l’océan grignote lentement les falaises. On ne sort pratiquement pas de chez soi dans cette tragi-comédie resserrée autour d’un couple de voisins. Lui, habite l’appartement du dessus, elle, celui du dessous. Alors qu’un mystérieux virus se propage et que la ville est mise en quarantaine, ils ont manifestement fait le choix de rester, sans que ne soit expliquée la raison de leur obstination. Au tout début, un plombier perce un trou qui reliera les deux appartements où se déroulera une bonne partie du récit. Dans ce théâtre pantouflard, qui s’ouvre sur la sieste interrompue du protagoniste masculin (en slip blanc kangourou…), seuls quelques signes furtifs annoncent la fin du monde. C’est une Apocalypse anti-specatculaire. Aussi chiante que la pluie en somme – qui d’ailleurs ne cesse de tomber dans ce film. Mais occasionnellement, entre les cordes d’eaux, surgit en arrière-plan un sac poubelle, jeté par un des habitants des étages supérieurs. C’est l’Apocalypse du quotidien : les ordures ne transitent plus par des conduits isolés, mais en plein air ; ces poubelles, qui marquent la fin d’un circuit – de consommation en l’occurrence -, font écho à la façon dont l’existence pourrait bientôt, elle aussi, atteindre banalement sa date de péremption et se retrouver à la benne. Mutiques, les deux personnages zonent dans leurs appartements et répètent sans passion les gestes auxquels ils sont accoutumés, à l’image du personnage masculin qui chaque jour rouvre sa boutique, coincé entre d’autres magasins barricadés par des rideaux de fers qui ne se lèveront pas, et patiente sans voir un client passer à sa caisse. Cette chorégraphie de l’ennui craque à plusieurs occasions, comme si un trop-plein d’énergie, tristement contenue, éclatait et ouvrait des brèches dans la monotonie. Des bulles de comédie-musicale égaient l’immeuble le temps d’une chanson pop et organisent, au milieu des couleurs criardes et des mélodies kitschs, la rencontre des personnages qui sinon s’ignorent pas mal (sauf quand il s’agit de rentrer ivre et de vomir dans le trou qui donne sur le salon de la voisine, ou alors de confondre les bruits du voisin-voyeur avec ceux d’un cafard et d’asperger l’indiscret de Baygon). Ces percées irréelles forment une scène où s’exprime le désir enfoui. La fin du monde arrive, mais le début de l’amour aussi.

H Story de Nobuhiro Suwa n’était pas présenté dans la sélection sur l’Apocalypse, mais l’angoisse de la fin du monde n’est jamais bien loin quand on évoque Hiroshima. C’est sur le territoire de cette ville dévastée en 1945 que le réalisateur japonais a tourné un film qui se positionne difficilement dans la géographie des genres : à la fois making-of sur le tournage d’un remake raté – inachevé – de “Hiroshima, mon amour” et flirt ambigu entre Béatrice Dalle, venue reprendre le rôle d’Emmanuelle Riva, et un acteur du film. Cette ambivalence semble propre au cinéma de Suwa qui conçoit ses films dans un esprit de liberté assez rare. Pour H Story par exemple, Suwa n’a pas choisi lui-même son interprète principale, mais a demandé à Caroline Champetier quelle actrice elle souhaitait filmer. Ce fut donc Béatrice Dalle – qui fait faussement capoter le projet en s’enfuyant du tournage alors que Suwa la cherche pour continuer le film. Cette actrice qui échappe à son réalisateur traduit, au niveau du scénario, la manière que Suwa à de filmer non pas pour retenir, mais pour voir le sens se dérober. Quand, dans une séance de questions-réponses à l’issue de la projection, le cinéaste est interrogé sur le choix de son titre, il répond que le “H” peut vouloir dire Hiroshima ou Human, ou bien que l’on peut lire le mot “history” auquel il manquerait le “i” de la première personne du singulier en anglais. Ce titre, distribué aux quatre vents, porte en lui une grande partie de l’ambition de Suwa qui sait, puisqu’il y est né, que Hiroshima a déjà traversé la fin du monde – et a déjà connu une topographie de l’anéantissement, composée uniquement de ruines. La fin du sens univoque imprime donc son ombre sur le récit de H Story. La dernière séquence du film, tournée au milieu des vestiges d’un bâtiment éventré, voit Béatrice Dalle et son flirt se tourner autour avant que l’actrice ne sorte du cadre. Dans ce décor apocalyptique, les deux amants connaissent enfin un répit (pour une fois, le téléphone ne sonne pas pour essayer de faire revenir l’actrice sur le plateau). Contrairement à chez Miang-liang Tsai, la fin du monde ne sera pas l’occasion de voir les deux personnages s’unir, car cette fin est déjà passée. En revanche, l’évocation de l’Histoire – d’Hiroshima et du cinéma – aura permis la naissance d’un certain frisson amoureux.

Un sentiment que l’on retrouve dans Le Départ de Jerzy Skolimowski. Aucune fin du monde ne vient menacer les personnages dans ce film, sorti en 1967, mais plutôt la fin d’un espoir – celui, pour Marc (Jean-Pierre Léaud) de participer à une course automobile – alors que simultanément pointe le désir amoureux, alimenté par la sensualité joueuse de Michèle (Catherine-Isabelle Duport). Dans ce film, un Léaud gesticulant s’époumone dans la quête d’une voiture qui lui permettra de s’élancer au “départ” d’une course. Sa vitalité inonde chaque plan et le film avance à cent à l’heure avant de finir en queue de poisson : Marc ne s’est pas réveillé à l’heure et a raté le départ de la course. Il reste donc dans la chambre d’hôtel avec Michèle. L’énergie que l’acteur a déployée pendant une heure et demie s’échappe de son corps et vient – très littéralement – enflammer la pellicule.

Dans Pour rire ! (1996) de Lucas Belvaux, c’est un Jean-Pierre Léaud plus minimaliste qui doit faire face à l’infidélité de sa femme, Alice (Ornella Muti). Composé de tous les ingrédients nécessaires au vaudeville (mari trompé, femme infidèle et son amant), le deuxième film de Belvaux joue sur la théâtralité des situations imposées par le genre en même temps qu’il axe sa mise en scène sur un jeu de rôles capable d’extraire son récit des conventions vaudevillesques. La duplicité des personnages nourrit cet élan émancipateur. Avocate, Alice défend un homme accusé du meurtre de son épouse et de l’amant de celle-ci. Le tribunal, qui se remplit comme une salle de théâtre pendant le générique du début, devient une scène où la femme infidèle s’adresse régulièrement à la caméra et semble plus se confesser qu’elle ne plaide. De la même manière, Léaud jouera deux rôles : quand Gaspard, l’amant de sa femme, l’empêche de se suicider, il se choisit une identité d’emprunt pour éviter que son sauveur (et son bourreau) ne fasse le lien avec Alice. Avec la fin de l’amour, c’est toute une dramaturgie composée de nombreux rebondissements qui se met en place. L’amour s’arrête pour Léaud, mais un monde de jeu s’ouvre à lui.

La conférence du dimanche matin proposait un état des lieux de la critique sur Internet, vingt ans après la disparition de Serge Daney, avec des représentants des revues Débordements et Zinzolin, accompagnés par Sidy Sakho du blog Ceci dit (au bas mot) et Christophe Beney d’Accreds.com. L’héritage du fondateur de Trafic fut moins au centre des discussions que la présentation des différents sites par chacun de leur représentant qui, à tour de rôle, ont exposé la genèse du projet, la ligne éditoriale, les difficultés et les relations avec la critique papier. Surtout, le web est loué pour son élasticité : si chez Zinzolin et Débordements on refuse de se soumettre à l’actualité des sorties, chez Accreds.com on estime justement qu’Internet offre la possibilité de suivre l’actualité du cinéma au jour le jour, voire minute après minute grâce à Twitter. C’est, encore une fois, une histoire de fin d’un monde, celui du monopole de la critique papier, et la naissance d’un autre où il faut parvenir à occuper le territoire, comme le souligne Simon Lefebvre de Zinzolin : “La difficulté, c’est de faire en sorte que l’espace d’écriture devienne un espace de lecture. C’est de la résistance, de l’occupation de territoire”.

Appartements devenus invivables dans The Hole, ville hantée par son propre anéantissement dans H Story, routes que l’on souhaite voir se transformer en piste de course dans Le Départ, Paris redécouvert par Tonie Marshall après que son mari l’ait abandonnée dans Pour rire ! (situation enviée par Jean-Pierre Léaud) et nouveau territoire à apprivoiser et à conquérir pour la critique sur Internet : le festival de La Roche-sur-Yon proposait décidément un vaste panorama du ciné-monde où l’on imagine bien ancrée la “maison cinéma” chère à Serge Daney et décrite par Patrice Rollet comme “exposée aux intempéries de l’histoire et du monde, mais aussi port d’attache d’où repartir dès que le vent de l’image se lève”.

Pierre-Edouard Peillon.

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La Rédaction

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