
Dans « Nous avons les machines », les chiens de Navarre sont toujours aussi génialement déjantés
C’est une compagnie que l’on aime sur ce site (voir ici) pour sa folie délurée, sa liberté de ton, son goût de la provocation sans agressivité, sa manière d’envisager le théâtre non pas comme un cérémonial sacré mais comme une matière vivante et continuellement en mouvement. Avant le Centre Pompidou, Vanves et Gennevilliers, c’est à la Maison des Arts de Créteil que Jean-Christophe Meurisse et Les chiens de Navarre présentent leur dernière création. « Nous avons les machines » est un spectacle-performance détonant où déferle un plaisir moqueur et subversif.
L’entrée en salle du public est un prologue déroutant et mémorable. Les acteurs et actrices nous accueillent, le sexe à l’air et assis sur des coussins péteur : « Entrez, soyez pas timide… » adressent-ils à la salle ainsi que de nombreux « Coucou » au public qu’ils apostrophent pour amuser et déconcerter sans malmener. « Amateurs du théâtre mystique, vous êtes au bon endroit » lance l’un d’eux. Au détour, ils brocardent l’intelligentsia, le théâtre sérieux, les fantômes du théâtre, caricaturent Claude Régy, le subventionné, blaguent sur les chrétiens radicaux qui ont fait l’actualité à la fin de l’année, Frédéric Mitterrand et Olivier Py, tout y passe sous la forme d’une improvisation réussie.
Puis, ça démarre ; non pas à table devant une raclette comme la dernière fois mais toujours autour d’une table, de réunion cette fois. On assiste à une assemblée visant à organiser une manifestation culturelle dans la petite ville de Saint-Martin. La situation est aussi hilarante qu’exaspérante. Le premier adjoint à la mairie prend la parole, les autres suivront. L’atmosphère est convenue, coincée, la conversation est d’une banalité affligeante. Ce qui se joue est risible car banalement ordinaire et en même temps surréaliste. Et les échanges secouent l’air de rien les bons sentiments et le politiquement correct. Et puis, ça dérape, ça périclite pour virer au chaos dans une démonstration de force explosive et impressionnante. La seconde partie reprend la même trame, celle d’une réunion, intergalactique cette fois pour laquelle les spectateurs sont propulsés sur une étrange planète où les pouvoirs publics sont des prototypes futuristes.
Il y a indéniablement un côté puéril et potache dans la démarche artistique des chiens de Navarre. Ce n’est pas du grand théâtre si on entend par là délivrer un propos fort. Le leur n’est pas d’une profondeur inouïe mais assez percutant. Tout fonctionne et séduit parce qu’ils osent les pires outrances sans ménagement ni ridicule. Ils hurlent, se foutent à poil, mettent le feu au sens propre, se peinturlurent tout en vert, finissent dans une orgie gore de faux sang et de pastèque. Ce qu’ils font est inracontable pour ménager la surprise. On leur reconnaît un plaisir évident du jeu, dans des costumes improbables, et des transformations physiques au moyen de perruques et de masques, une envie d’y aller à fond (ils ont les ressources pour cela!) car ils sont créatifs et hyper drôles.
Loufoque, régressif, totalement gratuit mais pas vain, leur théâtre veut en découdre avec le théâtre par le chahut, l’irrespect, l’impertinence. Cette dernière pièce est un sacré bordel, joyeux ou effrayant, mais à coup sûr bienfaiteur.
2 thoughts on “Dans « Nous avons les machines », les chiens de Navarre sont toujours aussi génialement déjantés”
Commentaire(s)