
Web trash @ l’Etrange Cargo
Nous retirons nos places, gentiment accueillis par une jolie jeune femme qui alerte “le spectacle est en deux parties, si vous êtes épileptique, vous ne pouvez assister à la première, et la seconde est interdite au moins de 16 ans”. On se lance, assez vieux et les yeux solides pour s’attaquer à une performance qui s’annonce incisive. “@, Une performance modulaire dont l’acteur est Internet // Phase 1” de Frédéric Deslias devrait fortement vous captiver et vous déranger.
Pour la partie épileptique, Frédéric Deslias a imaginé un dispositif comprenant une grande cage de verre semblant dirigée par deux scientifiques, masques chirurgicaux à l’appui. Une danseuse se cambre au sol, elle semble être avalée par la lumière et les objets géométriques qui se dessinent sur les murs . Petit à petit, des ordres lui sont assénés, la poussant à la disparition .
Cette première partie, très esthétisante et hypnotique interroge les rouages d’internet. Les câbles se dessinent en toile d’araignée et le corps dans sa réalité ne trouve pas sa place.
La seconde partie de cet objet théâtral offre aux spectateurs qui acceptent d’être dérangés une plongée dans le texte « Salope » de Dennis Cooper ici transposé en installation vidéo.
En une quinzaine de jours, le collectif clair-obscur a réuni via Facebook une poignée de comédiens. Ils ont été filmés chez eux, via skype. Leurs témoignages sont projetés sur écran, à la façon d’un forum vidéo sur les sites SM-Hard les plus fréquentés de la communauté gay. La scène peut se dérouler, vraiment, immédiatement sur xtreme-gay.com ou gaysm.fr…
Dans cet univers sans limite, Brad semble avoir disparu, il aurait succombé à Brian dont le fantasme extrême et de tuer les mecs avec lesquels il baise très violemment. Viols, torture et “bareback”, cette pratique de sexe sans capote , si possible avec des séropos…tout est dit, rien n’est montré, l’effroi et la fascination s’installent.
Au cœur de l’installation vidéo, deux comédiens formidables, Gurshad Shaheman et Thomas Gonzales, interviennent, assis dans la salle. Ils se filment en direct et leurs vidéos répondent à celles déjà enregistrées.
La seconde partie, plus longue que la première ne cherche jamais la beauté. Le seul sujet est le corps, omniprésent dans le récit mais absent du plateau. Les comédiens sont assis, sur le côté, volontairement peu visibles. Leur jeu se concentre sur la voix et le visage. A l’image de la performance « Jerk » de Jonathan Capdevielle, Frédéric Deslias arrive a brouiller la réalité. La durée de la proposition, 1h15, permet de commencer à douter. Les comédiens sont-ils de vrais internautes choppés sur les sites SM ? Les noms sont-ils réels ? Les spectateurs sont-ils des voyeurs ?
Le projet « @ » dérange et captive en interrogeant la relation et l’addiction au web. Ces deux premiers spectacles s’inscrivent dans un projet long visant à prendre le net comme objet d’étude artistique. Il était temps.
Spectacle présenté dans le cadre du festival l’Étrange Cargo
(c) Pascal Bigot