“Tempête sous un crâne” au Théâtre de l’Idéal : merci !
Adapter Les Misérables avec cinq comédiens et deux musiciens, il fallait oser. 1h30 pour la première période, consacrée à Jean Valjean et à Fantine, 2h pour pour la seconde, sous le feu des barricades, avec la fougue des amis de l’ABC : le spectateur est transporté dans cet univers qu’il connaît par cœur, et qu’il redécouvre pourtant, et de la plus belle manière : les comédiens ne se contentent pas de jouer l’histoire, d’interpréter Valjean, Cosette, Marius, Fantine, Javert… ils le font très peu, finalement. Car la surprise de cette production, ce qui lui donne l’étincelle de la révélation, c’est le parti pris de narrer l’histoire, de savourer les mots de Victor Hugo pour raconter Les Misérables sur scène, pendant trois heures et demie, à un public sous le charme.
La première période, la plus touchante, raconte la rencontre de Jean Vajean et de Monseigneur Myriel, l’affaire des couverts d’argent volé, Monsieur Madeleine à Montreuil sur Mer, la déchéance de Fantine, Cosette sauvée des griffes des Thénardier par un ancient forçat… Camille de la Guillonnière est la voix masculine du récit : avec son manteau noir et son écharpe rouge, ses cheveux un peu longs, il mène la danse avec assurance, et les mots de l’écrivain roulent avec bonheur dans sa bouche. Narrateur principalement, il est aussi la voix de Monseigneur Myriel, de Jean Valjean, et même des servantes de l’homme saint. Clara Mayer surprend un peu, au début : un peu de temps est nécessaire pour s’habituer à son accent gouailleur et sa bille de clown un peu égaré, mais alors qu’elle devient Petit Gervais, réclamant sa pièce de 40 sous à un Jean Valjean prostré, elle s’impose comme le contrepoint évident de la gravité de Camille de la Guillonnière. Le couple de comédiens fonctionne alors comme une machine bien huilée, alors qu’ils s’interrompent, interpellent le public, alternent leurs phrasés et parlent en chœur.
Au milieu d’une scénographie pleine de beauté, sur un plateau dépouillé, quelques images frappantes restent marquées sur la rétine alors que s’achève la première partie : Camille de la Guillonnière jetant avec rage des confettis rouges signifiant le passeport jaune de forçat de Jean Valjean, ou encore la magnifique scène qui donne son nom à cette adaptation. Debout face à son ombre, Jean Valjean affronte sa conscience pour sauver un homme et se condamner à nouveau : un carré de lumière, l’ombre de Camille de la Guillonnière projetée au mur alors que le reste du plateau est dans l’obscurité, cette scène suffit à illustrer l’esthétique de Tempête sous un crâne, où l’économie d’accessoires et de décors laisse place à l’émotion brute.
La première période passe ainsi sans que l’on ait vraiment conscience que cela fait déjà une heure et demie que l’on est assis, et tout a priori que l’on pourrait avoir sur une pièce de 3h30, avec seulement cinq comédiens pour mener la danse, est maintenant passé : comme tout enfant qui attend la suite de l’histoire qu’on lui conte, le spectateur a hâte de retourner s’asseoir pour écouter la fin du récit.
Trois comédiens s’ajoutent à Camille de la Guillonnière et Clara Mayer, sur le même principe que la première période – même si certains rôles sont plus spécifiquement attribués à chacun. Ainsi Camille de la Guillonnière continue d’interpréter le narrateur et Jean Valjean, devenu Monsieur Leblanc. Clara Mayer est un Gavroche enfantin et émouvant, Karryll Egrichi une Eponine magnifique, entre misère et grandeur alors qu’elle se sacrifie à son amour pour Marius, et Geoffroy Rondeau est délicieusement détestable en Thénardier cruel et cupide ainsi qu’en Javert tourmenté. Cependant, la force de la pièce continue de demeurer dans l’absence de réelle interprétation, de réels dialogues, pour rester dans la narration, dans le plus grand respect du verbe hugolien – tout en coupant, recoupant et remaniant le texte pour l’adapter à la forme théâtrale. Même si tout cela n’est pas vraiment du théâtre : tout se passe comme si les personnages des Misérables quittait le papier du livre pour prendre vie, grâce aux mots prononcés par les comédiens.
Côté jardin, un clavier, une basse, un accordéon, dont joue Céline Ottria. Côté cour, une batterie, avec laquelle Mathieu Coblentz donne du rythme à la représentation, ce qui est particulièrement bien réussi alors que les insurgés défendent leur barricade sous le feu des baïonnettes. Il rythme également les passages où les comédiens récitent l’action en cœur, montrant avec évidence à quel point la langue de Victor Hugo est musicale et poétique.
Le noir se fait sur le suicide de Javert, les comédiens viennent saluer sous les bravos et les vivats du public, et ce malgré l’heure tardive. Plus que bravo, on a envie de dire merci pour ce moment de pure poésie hugolienne.
Photo : © Pierre Dolzani
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One thought on ““Tempête sous un crâne” au Théâtre de l’Idéal : merci !”
Commentaire(s)
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Minyu
Une vraie merveille ! Un DVD est sorti, tant mieux, ça prolonge le plaisir…