Pop / Rock
« L’innocence » de Kid Wise : entre candeur et maturité

« L’innocence » de Kid Wise : entre candeur et maturité

25 March 2015 | PAR Pierrick Prévert

Fiat musica, et musica fuit. Il y a trois ans, des p’tits gars toulousains d’un collectif musical intitulé « Kid Wise » autour duquel gravitaient photographes, graphistes et blogueurs déposaient sur un Bandcamp un EP La Sagesse, tendrement maladroit et boiteux, aux intentions musicales indiscernables. Tout aurait pu s’arrêter là. Ça aurait été dommage, car nous aurions alors été privés du très bel album « L’Innocence » et d’un des groupes français de pop les plus enthousiasmants de ces dernières années.

[rating =”4″]

Ce qui a changé entre les deux ? L’organisation, tout d’abord, les « kids » abandonnant l’idée de collectif pour ne se constituer qu’en groupe de musique. Puis, fin 2013, un second EP intitulé Renaissance et dont le morceau candide et sauvage « Hope », avec son clip, fera connaître le groupe. Pourtant la véritable révolution était en ouverture de l’EP avec le morceau fleuve « Funeral » qui préfigurait l’équilibre que l’on retrouve tout au long de l’Innocence : une pop picturale, ample et vaste, bercée de post-rock, qui évite gaiement la confusion entre profondeur et grandiloquence.

Kid Wise se situe là, à mi-chemin entre l’envie de plaire au plus grand nombre, et l’envie d’être subversif. Envie de plaire, avec des effets faciles – néanmoins efficaces – comme les cris synchronisés dans le morceau « Forest », ou encore à la fin du morceau « Child » en même temps que défile derrière ce qui pourrait être une version sous acide des « Chansons pour les Pieds » de Goldman. Envie d’être subversif en envoyant mourir le format radio (bon débarras !) et en construisant brique à brique des morceaux progressifs à l’architecture complexe, comme le superbe « Ceremony » qui alterne chœurs incantatoires et chanson calme avec la voix grave d’Augustin Charnet pour finalement balayer le tout dans un final explosif, ou encore le morceau « Miroir », un des plus épurés du groupe (avec « Blue ») et le seul (avec « L’Innocence ») possédant un passage chanté en français.

Autre morceau très heureux du groupe, « Echos », qui vient clôturer l’album et dans lequel le groupe utilise un extrait d’une cassette du philosophe Gaston Bachelard : « Nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides », porté par une mélodie et un chant oniriques et qui, alors que l’extrait de Bachelard reprend « il suffit d’un peu de solitude avant que nous ne tombions dans une rêverie qui rejoint les songes de la nuit », devient subitement une mélodie brutale, violente et sombre, saturée de toutes parts, comme si l’on passait en un souffle du rêve au cauchemar… Ou que l’on perdait son innocence ?

L’Innocence de Kid Wise c’est donc ce beau maelström, qui préfigure d’ailleurs peut-être la difficulté à venir du groupe, celle de se séparer à terme de l’image d’éternels adolescents et qui contraste avec leurs évidents talent et maturité — ce serait en tout cas une erreur de les réduire à des « kids ».

À la demande de Toute La Culture, le groupe s’est livré à l’exercice du commentaire intégral et détaillé de son album. C’est à retrouver ci-dessous :

OCEAN

« Ce morceau, qui ouvre notre album, a été initialement créé lors d’une session live improvisée dans le cadre du projet annexe de notre chanteur Augustin : Les Pianos Sauvages. Invité dans la péniche toulousaine Le Cri de la Mouette et accompagné par Clément, violoniste des kids, les premiers arpèges et mélodies de voix sont venues naturellement, entremêlées de nappes synthétiques. Un enregistrement de ce jam d’une heure trente en témoigne, on entend Augustin balbutier « the more you care, the more you dare… » dans un yaourt anglicisé édifiant ! »

FOREST

« C’est la première composition « collective » du groupe ! Le refrain, ses chœurs scandés et sa froideur new-wave proviennent d’un morceau de Nathan, bassiste aux influences 80s prononcées. On a sauté partout en l’écoutant pour la première fois. Après quoi Clément a joint un couplet qui lui trottait dans la tête, Augustin une ligne de voix, Théo un solo de guitare blues… et le dynamisme de groupe naquit ! »

HOPE

« C’est le plus vieux morceau du groupe ! Il existait même avant la création de Kid Wise, composé par Augustin et Vincent. C’est un morceau empreint d’une histoire personnelle très forte, venu panser des plaies à vif. Après avoir connu plusieurs changements harmoniques, rythmiques, textuels et avoir été illustré d’un superbe clip… Ce petit gars a changé notre vie ! Notre quotidien, pour être exact. Ce petit succès rencontré sur les internets et dans le cœur de certains mélomanes nous a permis une visibilité que jamais nous n’aurions pu envisager. Nous avons pu rencontrer tous nos partenaires, souder de belles relations et découvrir un beau public. En concert, c’est le moment de l’amour, de la danse et du partage. Venez bouger avec nous, que diables ! »

MIROIR

« Au commencement de ce titre, il y avait… un exercice de style « pop à la sauce Steve Reich » par le violoniste Clément. Avec des instruments Cubase pas très beaux mais rigolos. Augustin, le chanteur, y a entendu un hymne pop… et on s’y est tous exercé ! On est très fier du résultat, ce « miroir du temps » vient réfléchir un grand nombre de nos influences : pop, minimaliste, aériennes, grandiloquentes et intimistes, à travers différents tableaux. On envisage de la jouer en live, mais les mesures composées nous embêtent et puis il nous faudrait trois marimbas. À suivre ! »

BLUE

« C’est sous l’emprise d’une antique sorcellerie jamaïcaine que la première partie de ce morceau fut composée dans le salon d’Augustin, une après-midi de printemps. Clément somnole sur le lit du chanteur tandis que ce dernier improvise le piano-voix sur son clavier blanc. La seconde partie du titre naquit lors d’une chaude soirée de juin chez une amie commune, l’esprit capturé dans ce même filet chamanique. Allongé sous un magnifique Steinway demie-queue, Augustin écoute Clément jouer de superbes harmonies bleues. Il se redresse et chante « Why do I feel so wrong, for the blue of your eyes ». En boucle pour le reste de la nuit, ce thème résonne et devient peu à peu une évidence. Mis bout à bout, les deux parties s’enchaînent naturellement, comme les pièces d’un puzzle. »

CHILD

« Le temps de l’enfance ! Avec tout le second degré et la naïveté du monde. Des envies de conquérir l’univers et de sauter dans des flaques d’eau, comme tous les enfants rêveurs. Child est en morceau sans complexe qui finit par une grande farce et un immense pied de nez aux codes du bon goût : ce gimmick math-rock sournois et fédérateur, irlandais dans l’âme et danseur des heures perdues. »

CEREMONY

« Nous sommes plus que fiers d’avoir cette collaboration avec l’artiste iranien Mohammad Mousavi une tribune/carte blanche de plus de trois minutes sur ce titre expérimental. Ce petit génie crée un véritable oasis, mirage halluciné au milieu d’un désert saturé de guitares aiguisées et rythmiques endiablées. C’est son père, chanteur religieux qui nous livre sa voix à fleur de peau sur le tapis sonore créé par son fils ; sept pistes de guitares, occupant le spectre sonore et allongeant l’espace-temps. On espère que ce sera le début d’une belle aventure, entre lui et nous. »

WINTER

« 1er janvier 2014. Le soleil se lève, une nouvelle année commence et Clément vient de casser la baie-vitrée de la mère d’Augustin. Enfin, il s’est « assis dessus » selon sa version des faits. Grande improvisation autour du piano blanc. Des voix alcoolisées résonnent dans le petit matin, chantant en boucle « Morning in the dark, morning in the dark… ». Un matin dans le noir, comme cet espace infime entre la nuit et l’aurore. L’enregistreur numérique est en marche, et le lendemain on passera sa gueule de bois à écouter la session de la nuit précédente. « Morning » deviendra « alone », la boucle deviendra un refrain. Quelques jours plus tard Théo nous joue une mélodie sur son petit carillon. Voilà des mois qu’il la peaufine. Elle est douce, profonde et mélancolique. Comme ce petit matin chancelant, à l’aube d’une année nouvelle. Augustin y joint une petite ritournelle au piano et au chant. Un peu comme celle de Tellier, que l’on aime tant. Les deux parties se joignent parfaitement… et la magie opère de nouveau ! »

L’INNOCENCE

« Théophile, guitariste des kids, est un garçon discret. Pas timide pour un sou, bien au contraire, mais simplement pas du genre à se mettre en avant. C’est un bosseur, qui passe des heures dans sa chambre à peaufiner le son de sa guitare, de ses amplis et de ses effets. Du coup il lui arrive de nous sortir de temps à autre, avec tout le naturel du monde, des riffs à rallonges incroyables, singuliers et évidents à la fois. Celui qui ouvre et façonne ce morceau en témoigne. Il nous l’a présenté avec sa nonchalance naturelle en répétition, comme ça, parce qu’on ramait un peu ce jour-là. On a d’abord halluciné, puis on l’a travaillé, puis c’est devenu le titre qui représente l’album et l’un de nos favoris. Tout simplement. Et puis c’est l’amoureuse d’Augustin qui chante avec lui sur le titre, comme la figure féminine incarnant l’innocence, ou du moins cette recherche de l’innocence dans l’album. Car c’est ça, pour nous, être innocent. Trouver la recette magique sans même y réfléchir, la laisser venir à nous. Laisser le temps opérer, attendre qu’un jour un guitariste nous sorte le riff qui donnera de la vie à cet album, trouver naturellement la voix qui lui apportera du sens. »

ÉCHOS

« La légende raconte qu’Augustin était aux toilettes quand il est tombé sur une cassette du philosophe Gaston Bachelard, duquel est emprunté le discours sur le songe et la réalité dans ce dernier morceau. C’est sa maman qui lui avait conseillé ce savant merveilleux à la barbe blanche. L’extrait choisi, posé ses les sombres accords de piano vient résumer l’éthique du groupe à travers ces simples phrases : « Nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides ». La musique, l’art en général et les émotions qu’il génère se trouve dans cet entre-deux magique, ce demi sommeil entre rêverie et lucidité où tout est possible et le concept de réalité libéré de ses normes premières. Échos témoigne de cet état intermédiaire, entre lumière aveuglante et abysses chaotiques, venant clôturer notre premier album et ouvrir de nouveaux horizons. »

Kid Wise, L’Innocence, 2015, The Wire Records / Maximalist Records, 71 min.

En concert à la Maroquinerie le 8 avril, et au Printemps de Bourges le 24 avril.

Visuel : (c) Éléonore Verger, Carmen Legros et Aloïs Lecerf

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Pierrick Prévert

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