L’ordre militaire en question
Dans son nouveau roman, “Passé sous silence”, Alice Ferney, l’auteure de “La conversation amoureuse”, lance sa fine plume dans l’introspection de deux militaires : l’un, icône adulée profite des troubles apparus dans un pays imaginaire, pour reprendre les rênes, auréolé de sa chevelure argentée. L’autre, jeune, et droit comme un I tombe dans un désaccord profond avec cette grande figure; il décide de fomenter un attentat, pour sauver l’honneur du “Vieux pays”. Toute ressemblance avec la France du mois d’août 1962 pourrait bien ne pas être fortuite…
Le Vieux Pays est en crise. La Terre du Sud demande son autonomie et n’hésite pas à le faire avec violence. La population fait alors appel à l’une de ses anciennes gloires militaires, qui s’était dignement retranchée dans sa famille après ses derniers services : Jean de Grandberger. L’animal politique vivait mal sa retraite anticipée et parvient très habilement à obtenir la confiance de tous, en promettant qu’il maintiendrait l’unité du Vieux Pays. Mais petit à petit, le renard se plie aux circonstances historiques et offre à la population de la Terre du Sud le seul référendum qu’il détache de sa propre personne. L’autonomie l’emporte. Jeune cadre de l’armée aux services parfaits, chrétien convaincu, nouveau père heureux en mariage, et fils d’un camarade de Grandberger, Paul Donadieu estime que le pays entier est trahi par l’idole et organise un attentat qui échoue. Au procès, il défend avec une grande rigueur son propre point de vue. Aucune grâce présidentielle n’existe pour ce jeune homme de devoir…
Dans ce livre poétique et incisif sur les arcanes psychologiques du pouvoir, seule la femme de Grandberger s’appelle Charlotte. Le pays inventé par Alice Ferney étant une utopie, il ne peut pas revenir sur des faits historiques précis, mais réfléchit plutôt à l’universel sur le pouvoir. Et pourtant nombreuses sont les résonances de l’affaire du petit Clamart, alias opération “Charlotte Corday”, et de Grandberger est un de Gaulle très fidèle, même si Donadieu est probablement un Jean Bastien-Thiry très “romancé”. La force du livre est bien sûr, comme d’habitude chez Alice Ferney, son style, et la capacité qu’a l’auteur de montrer comment les caractères demeurent, avec leurs travers, et leurs obsessions, même au bord de l’apocalypse.
Alice Ferney, “Passé sous silence“, Actes Sud, 204 p. 18 euros. Sortie le 19 août 2010.
“Il se sentait lavé des soupçons du pouvoir absolu : les dictateurs ne demandent pas l’avis du peuple et ne lui rendent compte de rien. Depuis qu’il avait reçu le pouvoir , le général remplissait les urnes de réponses à ses questions. Êtes-vous d’accord? faites-vous confiance? Approuvez-vous? certains n’osaient pas répondre non à l’illustre personnage. Jean de Grandberger savait en profiter. Pas la dictature, non ! les pleins pouvoirs, oui ! Et la consultation pour faire avaler l’autorité! Après quoi le grand malin jouait avec ses petits soldats.” p. 112
Articles liés
One thought on “L’ordre militaire en question”
Commentaire(s)
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Juliette Rambaud
Si vous aimez cet auteur justement… je vous conseille un site très sympa où l’on trouve des interviews vidéo d’auteurs (Interlignes, le site littéraire de Curiosphere.tv.) J’y ai découvert une vidéo sur Alice Ferney et son dernier livre, “Passé sous silence”, une façon sympa de “rencontrer” les auteurs je trouve, et d’en savoir plus sur le livre en question. Le lien vers l’interview d’Alice Ferney sur Interlignes, que je vous conseille vivement : http://interlignes.curiosphere.tv/?post_type=auteur&p=159