Beauté
[Interview] Emmanuelle Taulet fondatrice de Jeanne M à propos de la dernière publicité de Caudalie

[Interview] Emmanuelle Taulet fondatrice de Jeanne M à propos de la dernière publicité de Caudalie

27 May 2015 | PAR Sandra Bernard

Il y a quelques jours, le petit monde de la beauté était secoué par la publication sur internet, par la marque Caudalie, d’un petit spot publicitaire à visée humoristique, à l’image soignée, mais dont le premier plan indiquant “inspiré de faits réels” a provoqué une vive réaction d’Emmanuelle Taulet, fondatrice de la marque Jeanne M., dont l’actif phare n’est autre que la bave d’escargot. 

En effet, les différentes saynètes présentent des jeunes femmes usant de “recettes miracles” trouvées sur le net afin de prévenir ou de traiter les tâches cutanées : bave d’escargot pure, masque à l’oignon, “massage” aux fleurs fraîches, etc. Un brin caricaturales, elles n’ont pas été au goût d’Emmanuelle Taulet, fondatrice de la marque Jeanne M., dont l’actif phare n’est autre que la bave d’escargot. Elle a rédigé une lettre ouverte à Mathilde Thomas, cofondatrice de Caudalie qui lui a répondu de la même manière (les deux lettres sont reproduites en bas de l’article). Afin de faire le point sur cette affaire, nous avons interviewé Emmanuelle Taulet qui a accepté de répondre à nos questions.

Toute La Culture (TLC) : Pour commencer, comment avez-vous découvert ce spot publicitaire ? 

Emmanuelle Taulet (ET) : Je suis abonnée à la newsletter de Caudalie, suis « Fan » de leur page Facebook, je l’ai donc découvert comme ses 200 000 fans et ses centaines de milliers d’abonnés à la newsletter.

TLC : Avez-vous, depuis le début de la polémique, été contactée par d’autres marques utilisant les principes décriés dans cette publicité ? (comme soutiens moraux ou comme alliés dans une possible action en justice) Quelle est votre réaction face à la réponse de Mathilde Thomas, la créatrice de Caudalie ? Que vous inspire la couverture médiatique et les commentaires d’internautes relatifs à cette affaire sur le net? Ne pensez-vous pas qu’un tel buzz autour de cette publicité soit, en fait, tout à fait bénéfique à Caudalie, sa vidéo étant de plus en plus relayée ? Y a-t-il un impact sur votre chiffre d’affaire à l’approche de la fête des mères ?

ET : Je comprends que toutes ces questions soient légitimes et que vous désiriez des réponses. L’histoire, de mon côté, est très simple et je pense, partagée par Mathilde Thomas. Nous sommes toutes deux des femmes passionnées par ce que nous faisons. Mathilde Thomas m’a beaucoup inspirée lors de ma création d’entreprise, par son parcours, ce qu’elle avait su développer en 20 ans. J’ai une grande admiration pour la femme, la chef d’entreprise et la créatrice. Toutes deux nous nous sommes exprimées par lettres. Nous ne sommes pas forcément d’accord sur le sujet. Mais ces lettres ont montré que chacune pouvait s’exprimer librement, avec honnêteté, et surtout respect l’une envers l’autre . Elle m’a ainsi donc souhaité  beaucoup de réussite pour Jeanne M.

Nous ne nous sommes jamais rencontrées, j’espère que la vie nous donnera cette occasion, afin de partager nos expériences, nos histoires.

TLC : Revenons maintenant sur votre marque et son actif vedette. Comment vous est venue l’idée d’utiliser de la bave d’escargot ?

 ET : Tout d’abord, l’idée a été de dédier une marque aux femmes de plus 50 ans. Celles que j’ai baptisées les Sexygénaires (mot m’appartenant et déposé à l’INPI). Tout simplement après une remarque de ma grand-mère Jeanne Mongendre, un dimanche après-midi «  C’est tout de même bizarre de vendre des produits antirides à des gens déjà ridés ».

J’ai fait une étude sur plus de 160 femmes à travers toute la France en leur demandant leurs parcours cosmétiques, mais aussi ce qui les gênaient vraiment avec l’âge à savoir la pré-ménopause et ménopause. A ma grande surprise, ce n’était pas que les rides et encore moins la recherche de la jeunesse éternelle. Tout tournait autour de 5 points : la fermeté, l’éclat du teint, la réduction des taches, le lissage des rides (car bien conscientes qu’on ne pourrait pas leur enlever leurs rides) et l’hydratation intense.

Dans une seconde étape, j’ai décidé de créer la marque avec elles, ce sont elles qui m’ont aidées à la dessiner :

Ø  Quel packaging : tube, pot, flacon airless

Ø  Texture, parfum

Ø  Quel soin : ainsi, ce sont elles qui m’ont suggéré de créer un soin pour les pieds, soin auquel je n’avais pas du tout pensé. Ensuite, elles m’ont demandé un contour des lèvres, alors je l’ai dessiné, un an après notre premier lancement

Ce sont elles aussi qui m’ont soufflé la bave d’escargot, connu en médical et en cosmétiques depuis des dizaines d’années. (http://www.leblogdelapeausaine.org/snail-slime-scam-or-panacea/)

Jeanne M est une marque créée avec et pour les femmes !

TLC : Comment les escargots sont-ils élevés et leur bave récoltée ?

Notre marque est éco-concept, ce qui veut dire que nos fournisseurs rayonnent tous à 40 kms les uns des autres. Notre héliciculteur n’échappe pas à la règle et se trouve à Champagnolles en Charente Maritime. C’est un des plus gros exportateurs d’escargots (à des fins comestibles 32 tonnes par an). C’est un passionné des escargots, qui les étudie depuis plus de 20 ans avec l’INRA. Il savait donc comment récolter la bave dans sa forme « primaire »  totalement aussi liquide que de l’eau sans agresser ou même tuer « notre meilleur ami ». Il faisait tout manuellement. Nous l’avons aidé à trouver un inventeur afin de créer une machine (subventionné par Oséo), pour non pas industrialiser le système mais le rendre moins fastidieux pour lui, assurer une qualité RD pour nos crèmes, et respecter l’animal.

Chaque production est réalisée en stock tendu, nous respectons le cycle de l’animal qui hiberne et surtout ils retournent dans ses parcs après. A notre échelle, ce n’est pas de l’industrie mais de l’orfèvrerie. Nous sommes tous présents à ces moments-là, des moments aussi très humains, de très bons souvenirs.

TLC : Pensez-vous vous développer vers l’Asie, où la bave d’escargot est utilisée dans de très nombreux cosmétiques et ou certains salons ouvrent leurs portes, proposant aux clientes de faire un masque en posant directement les escargots vivants sur leur visage ?

Oui nous voyons ce phénomène depuis 2 ou 3 ans. J’ai eu la chance de partir avec le Conseil Général de Charente maritime en mission économique Horizon (nous avons ouvert un bureau en Chine, avec un VIE sur place pour toutes les entreprises de Charente Maritime qui désirent travailler en Chine) et je n’ai vu aucun salon pratiquant ce phénomène. Ils connaissent la bave d’escargot et ses vertus. Les produits viennent de Corée du sud, cependant avec de la bave lyophilisée qui perd donc ses vertus. Ils étaient très intéressés par nos produits. Cependant, j’ai refusé d’aller plus avant dans les dossiers de mise sur le marché chinois, tout simplement parce qu’ils demandent des tests sur les animaux. Et pour moi, c’était inconcevable. J’ai préféré me priver de ce marché.

Pour un photographe, je me suis pliée au jeu d’avoir des escargots sur le visage : une expérience extraordinaire. L’escargot est à sang froid, mais surtout à des dents. Pas comme les chiens mais ce qu’on appelle une radula (une langue d’asperité de plus de 1000 petites dents). Je l’ai fait une fois. J’ai des escargots plein mon jardin. Je ne le ferais pas quotidiennement, et le conseille encore moins à mes clientes.

Pour vraiment comprendre le phénomène chinois, il faudrait savoir de quels gastéropodes il s’agit, et comment ils procèdent. Je n’aime pas  porter de jugement sans savoir.

 

Lettre ouverte à Mathilde Thomas, dirigeante de la marque Caudalie.

“Madame,Je suis la dirigeante de la marque Jeanne M, pionnière de la cosmétique Sexygénaire. Toutes deux, sommes des femmes passionnées, ayant eu l’idée, l’envie, de créer une marque cosmétique. Tout comme vous, il y a 20 ans, je me rends dans les pharmacies pour faire référencer notre première gamme « H’elixir Sublissime » avec son actif phare la bave d’escargot. Ce qui nous différencie aujourd’hui, est le fait que je sois la dirigeante d’une « marque niche » et vous à la tête d’un mastodonte.Travaillant dans la cosmétique, nous sommes confrontés chaque jour à la concurrence. J’en suis une de ses ferventes défenderesses.  Sans concurrence, il n’y a pas de marché, c’est le moteur de l’innovation, qui nous pousse à nous surpasser, innover, coller au plus près  des besoins de nos clientes. La concurrence cependant se doit d’être loyale et saine, pour remplir ses fonctions.Je vous interpelle aujourd’hui publiquement, suite à la mise en ligne de votre nouveau spot publicitaire,  dans lequel vous dites qu’il est « basé sur des faits réels », que la « bave d’escargot, les fleurs, les perles »,  ne sont que des recettes miracles. Vous prônez par les mots suivants « arrêtez les recettes miracles » au bénéfice de l’utilisation du « seul vrai produit » existant sur le marché à savoir le vôtre. Jeanne M utilise un procédé de recherche et développement unique au monde (inoffensif pour l’animal), breveté, subventionné par Oséo et à de nombreuses fois récompensé pour son caractère innovant. Nous sommes une marque, 100 % made in France, prônons l’éco-concept à savoir que nos fournisseurs rayonnent tous à moins de 100 kms les uns des autres. Nous fabriquons sur une machine unique au monde, à température ambiante et sur batterie solaire. Nous protégeons l’environnement avec des pompes recyclables, des packagings issus des forêts régénérées, utilisons de l’encre végétale pour nos impressions. Je serais ravie de vous faire visiter notre laboratoire.Quant à l’efficacité de notre actif phare, soit la bave d’escargot, je suis au regret de vous annoncer qu’elle n’est plus à prouver et cela pour 2 raisons. La première étant que celle-ci est utilisée en milieu médical depuis fort longtemps dans un médicament très connu, mais aussi en cosmétique depuis des dizaines d’années. Ensuite par que comme toute marque qui se respecte mais respecte tout d’abord ses clients, nous avons procédé à des tests d’efficacité sur les 5 signes de vieillissement de la peau : le manque de fermeté, la sécheresse, le lissage des rides, l’éclat du teint et bien sûr la réduction des taches. Je tiens ces résultats à votre entière disposition et serais même ravie de les rendre publics, tant ils sont bons et certainement la meilleure des communications que nous puissions utiliser.Dans votre spot vous ne citez pas de marques, mais des actifs donc implicitement les marques qui les utilisent, et ce sans prouver leur inefficacité. Mais au-delà de ça, vous passez une barrière que je n’avais jamais vu et n’aurais jamais cru pourvoir possible : celle d’instrumentaliser, de ridiculiser les clients qui utilisent ces actifs. J’ose vous rappeler que nos clientes, sont aussi vos clientes.”Emmanuelle Taulet, dirigeante de la marque Jeanne M, www.jeanne-m.com
Réponse de Mathilde Thomas, dirigeante de Caudalie

Chère madame,
Votre message plein de passion et de conviction ne peut me laisser bien sûr insensible, moi qui défend depuis 20 ans avec mon mari notre marque 100% familiale et indépendante avec les mêmes engagements du début. Je me dois toutefois de rétablir les choses à leur juste valeur.
En effet, ces petits films ou saynètes, ont été réalisés dans un esprit totalement positif avec l’idée d’aborder le problème des taches cutanées sur un ton volontairement différent, complice, dédramatisant et surtout humoristique. Avec mon équipe de communication, nous avons donc souhaité aborder autrement ce sujet et faire connaître notre Sérum Vinoperfect, sur un ton que nous avons voulu plus léger, avec un style de communication plus moderne et original, qui puisse aussi surprendre et amuser.
Ces films, comme vous avez pu le constater, mettent donc en scène de manière volontairement accentuée des « recettes » à faire soi même que les femmes peuvent parfois lire sur des forums sur internet. Plonger la tête dans un bouquet de fleurs, laisser un escargot se balader sur son visage ou passer son collier de perles dans un mixer : ces scènes, en lien avec des « recettes » faites maison, sont volontairement choisies pour être drôles et improbables car exagérées et surtout très inconfortables à réaliser.
Ces films ne font à aucun moment référence à d’autres marques et/ou à leurs produits, et a fortiori à votre entreprise, mais mettent uniquement en scène l’utilisation « à l’état brut » d’éléments naturels tels que les fleurs, la bave d’escargot ou les perles. En aucun cas, ces films ne tiennent donc des propos dénigrants sur des substances de produits actifs et des marques. Bien plus, le caractère humoristique évident de ces films, et l’air amusé et légèrement impertinent des comédiennes ne peut à mon sens laisser penser une seule seconde que certaines femmes seraient ici ridiculisées comme vous le prétendez.
Je suis vraiment navrée que vous ayez ce ressenti négatif. J’ai la conviction que les femmes savent faire la part des choses, qu’elles ne sont pas dupes et comprendront le sens de ces films, le côté humoristique et gentiment exagéré des situations mises en scènes. Les retours spontanés que nous avons sont d’ailleurs extrêmement bienveillants et positifs de femmes qui disent combien ces petits films les ont fait “sourire”, “rigoler” et sont “jolis à regarder”.
Et pour moi, je vous l’avoue, c’est un immense plaisir ! N’y a t il pas en effet plus beau cadeau pour une créatrice de cosmétiques que d’embellir et de faire sourire les femmes ? J’espère vous avoir par ces quelques mots rassurée et souhaite sincèrement plein de succès à votre marque.”
Bien à vous,
Mathilde Thomas
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Sandra Bernard
A étudié à l'Université Paris Ouest Nanterre la Défense l'Histoire et l'Histoire de l'Art. Après deux licences dans ces deux disciplines et un master recherche d'histoire médiévale spécialité histoire de l'Art dont le sujet s'intitulait "La représentation du costume dans la peinture française ayant pour sujet le haut Moyen Âge" Sandra a intégré un master professionnel d'histoire de l'Art : Médiation culturelle, Patrimoine et Numérique et terminé un mémoire sur "Les politiques culturelles communales actuelles en Île-de-France pour la mise en valeur du patrimoine bâti historique : le cas des communes de Sucy-en-Brie et de Saint-Denis". Ses centres d'intérêts sont multiples : culture asiatique (sous presque toutes ses formes), Histoire, Histoire de l'Art, l'art en général, les nouveaux médias, l'art des jardins et aussi la mode et la beauté. Contact : sandra[at]toutelaculture.com

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