Théâtre
Violet d’Alice Birch par Jacques Osinski

Violet d’Alice Birch par Jacques Osinski

25 June 2023 | PAR David Rofé-Sarfati

C’est l’histoire simple d’un couple. Ou plutôt, c’est l’histoire banale d’une femme qui quittera son mari. Ou peut-être est-ce l’histoire foisonnante d’une catastrophe qui dérègle les horloges pour nous précipiter dans un ailleurs qui n’aura pas lieu sauf à reproduire la même catastrophe. L’opéra anglais, très moderne de Tom Coult sur un livret d’Alice Birch est tout cela en même temps et ne raconte rien d’autre que nos vies. C’est frissonnant.

Une réussite par l’excellence 

Tom Coult, jeune compositeur anglais de 35 ans, vient de créer à Londres son premier opéra avec la collaboration de la dramaturge et scénariste Alice Birch (Orlando au Théâtre de l’Odéon en 2019). L’histoire est inspirée de la nouvelle Le Diable dans le beffroi d’Edgar Allan Poe. L’intrigue se déroule dans la cuisine d’un couple de trentenaires sans enfant. Violet, l’héroïne, fomente entre rage et sororité avec la jeune servante une rébellion qui laissera son mari Félix, incrédule et désespéré. Parallèlement, les horloges s’accélèrent, les jours raccourcissent. Une fin du monde semble proche.    

L’écriture musicale de Tom Coult influencée par le compositeur Georges Benjamin permet au texte moderne de Alice Birch de déployer toute sa force. La mise en scène de celui qui vient de recevoir du Syndicat de la Critique le Prix Laurent Terzieff pour Fin de partie de Beckett, épouse, accompagne et enserre l’étrange de ce conte dystopique. Nous sommes déposés sur une ligne de crête entre l’issue noire de la catastrophe qui gronde et le saut optimiste dans le vide. 

La fosse est remplacée par un espace délicatement voilé en fond de plateau. La jeune cheffe d’orchestre Bianca Chillemi dirige avec précision son ensemble Maja avec treize musiciens. La scénographie fluide de Yann Chapotel concourt à la création du singulier. Dans le rôle titre, la soprano Juliette Allen incarne avec une puissance étonnante le personnage d’une femme qui s’émancipe aux côtés de Natalie Pérez, si juste, qui campe la servante. Le baryton-basse Olivier Gourdy est formidable, tout en tension, et Manuel Nuñez Camelino, parfait en horloger du temps dont la pendule s’emballe.

Nos mélancolies et nos dérélictions

Découvert lors du festival confidentiel Bruit de Vincennes, la pièce opéra raconte notre époque féministe, écologique et inquiète tout en s’inscrivant dans l’intemporel. Le texte est un bonheur. Il sait intriquer, brasser les thématiques et les dilemmes. Nous naviguons entre le fantastique et le quotidien, entre l’onirique et l’indubitable. L’histoire de Violet convoque nos histoires intimes en cela qu’elles se constituent de notre peur de la fin, de notre envie de vivre et du désir secret qui nous anime. Reste à la fin le diagnostic de la répétition, qui tue l’espérance sans annihiler l’espoir. Une réussite à cheval entre la psychanalyse et Shakespeare. 

 

Violet,

Tom Coult, Alice Birch
Bianca Chillemi, Ensemble Maja
Jacques Osinski

Crédit photo © Pierre Grosbois

 

 

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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