
Tristesses, l’avertissement glaçant d’Anne-Cécile Vandalem
A l’Onde, Théâtre de Vélizy, l’auteure, metteure en scène et comédienne belge redonne Tristesses, une fable politique et humaine, audacieuse et angoissante, emplie d’humour noir et de désespoir sur la menace que représente la montée des partis extrémistes.
A une heure incertaine où le jour se confond avec la nuit, sous un lourd ciel noir et une brume fumeuse, on pénètre dans l’existence confinée d’un microcosme de survivants reclus derrières les fenêtres faiblement éclairées de petites maisonnettes en bois sur une petite île au large du Danemark. Un profond sentiment d’abandon, de déshumanisation, émane de ce climat étrange où les morts visitent les vivants et jouent une musique lancinante et consolatrice. L’action se joue sous leurs yeux et souvent à huit clos tandis qu’une caméra s’immisce derrière les cloisons pour filmer en direct. Autrefois prospère grâce aux activités d’élevage animal et tombé en décrépitude depuis la fermeture volontaire des abattoirs, le lieu ne compte désormais que huit seuls habitants. Les intrigues sombres et nauséeuses de la pièce se dévoilent à partir de la découverte du corps de l’aînée d’entre eux pendue au drapeau national et dont la fille, revêche leader politique d’un parti d’extrême droite prêt à ganger le pouvoir, vient chercher la dépouille pour la ramener sur le continent contre ses dernières volontés.
Comme dans une expérience anthropologique, on observe le groupe d’individus vulnérables et combatifs, ni bons ni mauvais, formidablement interprétés par des acteurs plus vrais que nature. Soumis aux machinations politiques, ils interrogent et entretiennent des rapports troubles et méchants où surgissent une violence constante, une domination des hommes souvent bourrus, rugueux, sur les femmes humiliées, d’une clairvoyance pourtant lumineuse mais inconsidérée.
On admire chez Anne-Cécile Vandalem, cette faculté très belge de traiter directement, frontalement d’un sujet grave, nécessaire, d’aller au fond et sans détour, tout en s’autorisant un humour incroyablement dévastateur jusque dans un final qui s’apparente à une hécatombe shakespearienne. Forme et fond donnent à voir comment se cristallisent les peurs et la manipulation d’une société gangrénée et menacée. Si Tristesses a triomphé au dernier Festival d’Avignon puis a été élu « Meilleur spectacle de l’année » par la critique, c’est bien parce que la pièce concerne, dérange, captive.
Les 7 et 8 octobre 2016 à L’Onde, Théâtre de Vélizy-Villacoublay.