Théâtre
“Such Stuff as dreams” de Marie Lamachère

“Such Stuff as dreams” de Marie Lamachère

16 June 2023 | PAR David Rofé-Sarfati

Programmé au théâtre des 13 vents à Montpellier avant une tournée nationale, Marie Lamachère a imaginé un diptyque surnommé Such Stuff as dreams adapté des deux pièces de William Shakespeare autour du rêve : La tempête et Le songe. Le spectacle est splendide et volontairement désemparant.

 

Marie Lamachère est metteuse en scène, dramaturge et directrice artistique des // Interstices, compagnie de théâtre basée à Montpellier. Diplômée des Universités Paris X – Nanterre et Paul Valéry à Montpellier, elle s’est intéressée aux passerelles entre la danse et le théâtre. Dans son travail, elle questionne l’art de l’acteur et la fonction sociale du théâtre, et alterne la mise en scène de textes contemporains et du répertoire (Büchner, Beckett, Brecht).

Elle fut artiste associée à plusieurs lieux dont le Théâtre des 13 vents, et aujourd’hui à La Bulle Bleue avec laquelle elle a créé Betty devenue Boop ou les anordinaires en 2021. La Bulle Bleue est un établissement médico-social de travail protégé, réservé aux personnes en situation de handicap et visant leur inclusion sociale et professionnelle.

Un sacré pari

Avec une troupe constituée à moitié de comédiens issus de la bulle bleue, elle crée deux pièces de Shakespeare présentées ici en diptyque. Et elle brouille les cartes pour brouiller nos esprits. Car le propos de Marie Lamachère est de nous enfoncer dans la magie intrinsèque de ses deux œuvres ; une magie qui pourrait s’appeler le rêve éveillé. En ceci, elle colle à l’idée que la psychanalyse se fait du théâtre. Au banquet du Songe, elle brouille les rois et les artisans de théâtre, elle démonte le jeu des sexes, elle trouble les genres. Sur l’île de La Tempête, elle déguise la mémoire et les apparences. Elle ouvre la voie à d’autres régimes de perception.

Nous sommes dans un rêve, le nôtre supervisé par Shakespeare. Les tableaux se succèdent. L’intrigue se saisit par bribes, comme on reconstitue mentalement l’image d’un vêtement devant quelques lambeaux déchirés.  Le théâtre de Marie Lamachère connaît cette fonction essentielle d’un spectacle vivant qui se joue du mensonge. Le théâtre, selon la psychanalyse, présentifie les inconscients en offrant aux spectateurs de voir jouer devant lui des fragments de sa propre scène intime. C’est une vertu du travail de Lamachère. 
 

Une prise de risque maximal

Le résultat est splendide ; il est déconcertant. La musique et chansons écrites par Sarah Métais-Chastanier ponctuent avec élégance un édifice très innovant. L’inventivité de la mise en scène et de la scèno lentement, mais avec assurance nous saisit pour nous enfoncer dans ce rêve éveillé digne du désir de l’auteur. Nous vivons quasiment une expérience immersive au cœur même de la création du texte et de ses inclinaisons. Les comédiens investissent l’ensemble du plateau, dansent, sautent, courent, bondissent et grimpent. Au spectateur de particper au jeu de ce grand 8 émotionnel planté dans l’onirique. Et dans la saturation.

On trouve chez Marie Lamachère cette envie (ce besoin) de saturer les motifs. Nous ne sommes jamais laissés tranquille ; nos cerveaux chahutés se réfugient dans une contemplation joyeuse de la beauté des tableaux. Les comédiens sont formidables. Tous. Citons-les, car ils sont tous impliqués, talentueux, attachants : Mélaine Blot, Maéva Brunie, Mireille Dejean, Laura Deleaz, Steve Frick, Arnaud Gelis, Sarah Lemaire, Jean-Noël Papera, Philippe Poli et Mickaël Sicret, Léo Bahon, Théophile Chevaux, Stan Dentz, Romain Debouchaud, Antoine De Foucauld , Agathe Mazouin, Martin Mesnier, Guillaume Morel, Damien Valero et Zoé Van Herck. 

Un moment intense de théâtre

Ainsi, nous sommes appelés à nous laisser faire et à déguster une expérience muti-sensorielle. Il nous restera après le spectacle le souvenir de nombreux moments de grâce et, une vision très intime et très prégnante des arrière-pensées oniriques de Shakespeare. Restera aussi l’envie d’inscrire en nous un lien privilégié avec la troupe. 

 

 

Such Stuff as dreams
adaptation d’après les pièces de William Shakespeare

conception, adaptation et mise en scène : Marie Lamachère
avec les comédiens de la compagnie La Bulle Bleue et de INTERSTICES :

 

Crédit photo David Richard

 

“Système et style”, une approche matérialiste de la langue
Violaine Démaret : « il n’y a pas que le Festival d’Avignon dans la culture en Vaucluse »
David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration