Politique culturelle
Violaine Démaret :  « il n’y a pas que le Festival d’Avignon dans la culture en Vaucluse »

Violaine Démaret : « il n’y a pas que le Festival d’Avignon dans la culture en Vaucluse »

16 June 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Violaine Démaret est préfète, dans un territoire très marqué par la culture, le Vaucluse. Nous avons souhaité la rencontrer pour parler de son métier, de sa fonction et de ses liens avec le Festival d’Avignon.

Vous êtes la première femme préfète du Vaucluse, je dis « préfète », mais comment vous désignez-vous ?

Je me nomme la préfète de Vaucluse, le mot est au féminin dans le dictionnaire donc on dit préfète de Vaucluse. Nous sommes quelques unes en France. Quand j’ai commencé il y a quinze ans, il y avait très peu de sous-préfètes, et a fortiori très peu de préfètes, et je me souviens encore de sous-préfètes qui voulaient se faire appeler madame le sous-préfet, parce que peut-être pensaient-elles qu’il serait plus évident d’avoir toute l’autorité d’un sous-préfet. Le e n’enlève rien à l’autorité qui va avec la fonction. J’ai été sous-préfète avant, je suis préfète maintenant. Il se trouve qu’en Vaucluse, je suis la première préfète de Vaucluse : ils ont voulu attendre 222 ans, un chiffre qui soit trois fois le même, mais quand j’étais dans les Alpes-de-Haute-Provence sur mon poste précédent, des préfètes m’avaient déjà précédé. J’entends bien que pour beaucoup de femmes qui sont en responsabilité ou non, cela les rend heureuses car cela permet de crédibiliser la volonté de l’État de nommer des femmes à des emplois supérieurs, mais pour moi c’est dans l’ordre des choses : je suis préfet de la République, et en l’occurrence je suis préfète mais cela ne m’obsède pas tous les jours !

Question encore plus vaste, pouvez-vous me rappeler quelles sont les fonctions du préfet en général ? Quel est votre travail ?

Je suis une fonctionnaire, donc j’ai passé des concours il y a un peu plus de 15 ans maintenant, des concours administratifs. En l’occurrence, j’ai travaillé assez dur pour décrocher le concours de l’ENA (l’École nationale d’administration), alors que j’étais très provinciale et que ce sont plutôt les Parisiens en général qui réussissent le concours en externe, c’est-à-dire les petits jeunes qui sortent des études puis passent les concours, car vous savez que dans les concours de l’État comme dans ceux des collectivités, il y a d’autres voies où vous êtes déjà fonctionnaire et où vous le passez en interne. Et donc en externe, sans être à l’IEP de Paris ou à Sciences Po Paris, cela peut être compliqué. J’ai passé le concours de l’ENA qui m’a permis ensuite, à ma sortie en 2008, de pouvoir choisir mon poste car je n’étais pas trop mal classée. Et comme j’avais fait pendant ma scolarité un stage en préfecture, j’en ai attrapé le virus, parce que c’est un « job » de décideur qui rend des décisions tout le temps, toute la journée, soit en interne dans les services de l’État, soit en externe sur des politiques publiques. Voilà pour le premier élément.
Ensuite, sous-préfet ou préfet, on est nommé par le président de la République. Si on est sous-préfet, c’est un décret, j’allais dire simple, du président de la République, mais c’est le ministère de l’Intérieur qui gère les sous-préfets, et qui les propose au ministre de l’Intérieur, qui lui-même les propose au Premier ministre ou à la Première ministre et au président de la République. Ces trois autorités-là disent oui ou non à une nomination de sous-préfet sur tel poste. Quand c’est un préfet, c’est la même chose, sauf que l’on est nommé en conseil des ministres. Pourquoi ? Parce que la Constitution prévoit dans son article 72 l’existence et les missions du préfet, ce qui en fait évidemment un cas très exceptionnel car on ne définit pas les missions des autres fonctionnaires de l’État dans la Constitution, et donc la Constitution indique dans cet article 72 que le préfet de la République, dans chacun des départements de France, représente le Premier ou la Première ministre du gouvernement, et chacune et chacun des ministres qui composent son gouvernement. Mon travail, c’est de représenter en Vaucluse, le président de la République, la Première ministre et chacun des ministres qui composent son gouvernement. Cela ne veut pas dire que je suis politique car je ne suis pas une élue, je ne suis pas un parti politique – surtout pas d’ailleurs – parce que le mode de fonctionnement de l’État de droit en France, c’est d’avoir des responsables politiques élus par le suffrage universel, qui derrière, soit en direct par le président de la République, soit par les sénateurs indirectement et les députés directement, donnent des ordres. C’est le pouvoir exécutif que nous exécutons, donc nous exécutons les ordres et les politiques publiques d’un gouvernement, tout en le faisant de façon neutre, sans appartenance politique. Moi, j’ai servi des gouvernements de gauche, de droite, au centre : il faut le faire en étant neutre. Personne ne doit connaître mes opinions politiques, personne ne doit savoir pour qui je vote, et ma loyauté est totale envers le gouvernement.
Troisième point, et là j’en viens peut-être plus à notre sujet en effet, c’est que cela veut dire que les ministres conduisent des politiques publiques, en matière de sécurité, pour le ministère de l’Intérieur par exemple. Cela renvoie aux missions historiques, intemporelles du préfet, qui est forcément chargé de la sécurité dans le département, que ce soit la sécurité publique, comme garant de l’ordre public, ou la sécurité civile, les secours aux personnes ou la lutte contre les feux de forêts, soit en prévention soit en gestion de crise. Je fais la même chose pour tous les autres ministres, c’est-à-dire que, j’applique les priorités de la ministre de la Culture et je conduis ses politiques publiques. Même chose en matière de logement, en matière d’environnement, en matière de transport, en matière d’économie. Donc un préfet, c’est tout ça en fait. Le nom est souvent réduit à la sécurité car c’est cela qui nous a longtemps été réservé et parce que cela reste une mission sur laquelle on est très attendu, mais moi, je suis autant la préfète de la ministre de la Culture et du ministre en charge de l’environnement, que du ministre de l’Intérieur, qui me gère, qui propose ma nomination, mais selon les départements, ce n’est vraiment pas pour le ministre de l’Intérieur que l’on consacre l’essentiel – la majorité en tout cas – de son temps.

C’est très intéressant, évidemment en tant que préfète, vous êtes reliée à un territoire qui a des particularités, qui a ce qu’on appelle des « circonstances locales », on a beaucoup entendu cela au moment de la levée progressive des restrictions de jauges pendant la Covid. Je voulais savoir quelles sont pour vous les circonstances locales, que ce soit dans le secteur culturel ou autre. J’ai vu que vous aviez pris récemment une décision sur l’eau par exemple ? Qu’est-ce qu’il a de particulier, ce territoire ?

Dans le Vaucluse, les enjeux de sécurité sont extrêmement forts, tant en termes de sécurité publique que de sécurité civile. Pour ce qui est de la sécurité publique, les enjeux de lutte contre la délinquance, contre le narcotrafic, sont parmi les plus marqués de France. Cela n’a pas toujours été le cas en Vaucluse, mais c’est le cas aujourd’hui. Cela veut dire que j’y consacre énormément de mon temps. Pareil pour la lutte contre la radicalisation : on a des individus qu’on suit en Vaucluse, il y en a moins que dans certains départements avec lesquels j’ai pu travailler, mais beaucoup plus que dans d’autres où j’ai aussi pu travailler. Les marqueurs de sécurité ne sont pas bons, et m’amènent pour le coup – plus que pour la moyenne des préfets de département sans doute sur les 101 en poste – à traiter des questions de sécurité.
La sécurité civile est centrale. Dans le département, nous avons un ensemble de 151 communes : 60 % d’entre elles ont soit un risque inondation, soit un risque feu de forêt, et 90 % au final avec le cumul des deux. Cela veut dire que dans le département, la majorité des communes ont un risque de feu de forêt ou d’inondation : c’est un département très marqué par les risques. Cela veut dire que la préfecture travaille avec les élus et avec le grand public sur ce qu’est la prévention des risques, sur ce qu’est par exemple le débroussaillement et pourquoi il faut en faire encore plus dans le Vaucluse que quand on est dans le centre de la France, pourquoi on a des gestions des massifs… Quand vous avez 43 % du département qui est couvert par la forêt, ce qui est le cas de Vaucluse, ce n’est pas la même chose qu’un département qui compte 10 % de forêt. Les événements de Vaison-la-Romaine ont grandement marqué les mémoires rappelant que même avec des cours d’eau qui sont très calmes, il peut y avoir de nouvelles catastrophes. Voici des exemples de circonstances locales.

Le département est bien sûr très marqué par la culture. Assurément, le Festival d’Avignon est l’emblème de tout cela. Il constitue un objet très important en tant que tel pour l’État, et pour le département, parce qu’en effet, il y a cette loyauté au gouvernement et cette vie dans le territoire qu’on administre, dans lequel on vit, et qu’on essaie de faire avancer et de mettre sous les projecteurs. Je me considère aussi comme l’ambassadrice du Vaucluse. Dans ce contexte-là, il n’y a pas que le Festival d’Avignon dans la culture en Vaucluse, il y a d’autres festivals, il y a d’autres événements, et c’est un département qui est très marqué par les milieux culturels, différents types de culture et d’art. Et puis par exemple l’agriculture : le Vaucluse est le premier département agricole de la région PACA, qui est connue pour être une région agricole, par contre ce n’est pas la même agriculture que ce qu’il y a dans les Alpes-de-Haute-Provence où j’étais avant. J’y passais déjà beaucoup de temps quand j’étais préfète des Alpes-de-Haute-Provence, mais je ne traitais pas tout à fait des mêmes sujets. Je traitais déjà des sujets de sécheresse et d’eau, mais pas tout à fait de la même façon non plus.

Vous parlez à une convaincue, j’entends bien que le Vaucluse est un département culturel, qui ne se résume pas à Avignon, mais j’aimerais quand même que l’on parle du Festival d’Avignon et je sais que c’est votre premier en tant que préfète. Comment cela se prépare, à quoi êtes-vous confrontée, quelles sont les questions qui se posent pour vous concernant le Festival d’Avignon ? Des questions de sécurité, d’horaires ? Comment on prépare le Festival d’Avignon ?

On a évidemment un mois décisif qui arrive puisqu’on va rentrer dans la dernière ligne droite. Premièrement, on arrête les dates : c’est un travail d’équipe, le préfet arrête avec la maire d’Avignon et avec l’aide du Festival d’Avignon et du « Off », les dates de ce que l’on nomme « le » festival qui rassemble les deux événements. On a décidé en début d’année, après en avoir discuté en fin d’année dernière, les dates du festival : cette année du 5 au 25 juillet et du 7 au 29 pour le festival Off. Compte tenu de la spécificité de l’année 2024 avec les Jeux olympiques et paralympiques, on a dû dès l’automne dernier discuter des dates pour l’édition 2024 en arrêtant la date de fin, et en n’ayant pas encore totalement arrêté mais presque, celle du début.
Donc déjà, il s’agit de s’arrêter sur les dates. Pourquoi on fait ça ? L’État, de façon permanente sur le festival, a trois missions : le premier élément de son action, c’est d’être un grand financeur du Festival d’Avignon. Sur un budget d’un peu plus de 9 millions d’euros, l’État en met plus de 40 % : donc c’est plus de 4 millions, c’est tout de même majeur. Il faut donc s’assurer que sur les financements, tout soit bien bouclé, que les dossiers soient bien déposés. C’est la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) qui est le principal service qui, en lien avec moi, gère cette partie-là, et puis c’est suivi directement par le ministère de la Culture. Ce qui veut dire que, quand il y a des conseils d’administrations du festival, qui se réunissent sous la présidence de Madame Françoise Nyssen et qui réunissent le directeur Tiago Rodrigues, un ensemble d’élus de collectivités locales qui financent notamment le festival – je veux parler du conseil régional, du conseil départemental, également du Grand Avignon et de la ville d’Avignon – l’État est présent et il y a donc le préfet de département qui est membre de droit et le ministère de la Culture qui est directement présent au festival et représenté. Dans ces CA, on revient sur un ensemble d’éléments liés aux financements et à l’organisation du festival.
Troisièmement, la dimension de sécurité que vous avez mentionnée est très importante. Tout le monde s’est un peu étonné l’été dernier que cette mission soit aussi importante, quand le ministre de l’Intérieur a rappelé que face aux Jeux olympiques et paralympiques, il y avait d’autres événements qui se déroulaient pendant ce temps-là, pas seulement culturels mais également sportifs, qui nécessitaient des forces de sécurité particulières et qui devaient se poser les bonnes questions. Il y a eu des communications spécifiques ces dernières années sur le volet sanitaire, avec des protocoles sanitaires particuliers mis en place par mon prédécesseur pour le festival « In » comme pour le « Off », mais ces questions sanitaires sont un peu derrière nous ces dernières années, c’est la bonne nouvelle. Mais il y a toujours un énorme volet sécurité. Vu le nombre de personnes qui se rendent à Avignon, on met en place un dispositif qui est à la fois celui que mes collègues mettent dans les autres départements de France où il y a de gros événements festifs, culturels ou sportifs, mais c’est aussi une organisation qui est très rodée et qui fait que, dès le début de l’année – en tout cas au plus tard au printemps –, j’ai proposé aux partenaires qu’on mette nos groupes de travail en place dès le mois de mars. On a ainsi des réunions de travail entre l’État, le Festival d’Avignon et le festival Off, il a la maire d’Avignon, les policiers nationaux, les sapeurs-pompiers, pour que l’on arrive à avoir ce qu’on appelle un dispositif de sécurité et de secours – on en a plusieurs – qui permettent d’assurer la sécurité et donc la réussite du festival.
La dernière grande mission, c’est de s’assurer que tous les acteurs se parlent, que tout soit fluide entre eux. Ça c’est le rôle de médiation, de coordination de l’État sur des événements comme celui-ci, qui se déroule de manière départementale mais qui est une manifestation de renommée internationale, donc qui a fortiori dépasse largement les limites du département, où l’on veille à ce que le « In », le « Off », la mairie et la sécurité dialoguent sereinement.

Par exemple cette année, dans le Festival d’Avignon, plusieurs spectacles ont des formats particuliers : un spectacle à Pujaut, de nuit ou en tout cas à l’orée du jour – que j’ai très envie de voir d’ailleurs – un spectacle dans lequel on se balade en forêt, c’est le retour de la carrière de Boulbon… Est-ce que ces spectacles dans des lieux qui ne sont pas des lieux faits pour la culture posent des problèmes particuliers pour vous ?

Cela se regarde au cas par cas. Sur le principe, on est là pour accompagner les décisions du gouvernement : l’État mène une politique culturelle qui est une politique de soutien à la création artistique, et donc nous, ce que l’on souhaite, c’est laisser le plus possible s’exprimer l’imagination et le projet artistique des festivaliers, des compagnies, des auteurs. Et donc si l’on vient à mettre des limites, éventuellement, c’est parce que la sécurité ne peut pas être assurée. On va donc plutôt essayer d’entourer les festivaliers en leur disant que s’ils veulent faire cela, il n’y a pas de soucis à condition que, si on a un spectacle en pleine nature avec un risque de feu de massif trop fort, cela suppose tels dispositifs de sécurité. Nous assurer que s’il y a un conflit avec un maire de Vaucluse, on puisse faire de la médiation afin de tomber sur des compromis. Mais le principe général est bien l’accompagnement des volontés culturelles et artistiques des festivaliers.

Comment gérez-vous les horaires des lieux de nuit, qui peuvent, en temps de canicule, fermer trop tôt et provoquer des errances dans la ville ?

De façon générale, en dehors du festival, le travail de l’État avec les collectivités locales est d’accompagner les évolutions du pays, pour simplifier le quotidien des gens et leur rendre la vie la plus agréable possible, c’est quand même le sens de notre action… Après, sur le sujet des horaires d’ouverture des boîtes de nuit, des établissements qui reçoivent du public, des bars, des épiceries, etc., ce sont des décisions qui sont principalement prises par la police du maire en tant qu’autorité de police, qui va pouvoir réglementer les horaires d’ouverture de ces établissements. Mais typiquement, dans une ville comme Avignon, on le fait ensemble car on a de tels enjeux de lutte contre la délinquance et de tranquillité publique, que l’on a des décisions qui viennent encadrer les ouvertures pour éviter qu’avec des ouvertures inadaptées, notamment trop tardives, on ait de l’ébriété sur la voie publique et on qu’on ait des gens derrière qui ne puissent pas dormir et vivre. Avignon n’est pas une ville-musée, vous le savez, elle dispose d’un patrimoine incroyable, mais elle compte des habitants qui y vivent toute l’année. Ils n’ont pas à subir les nuisances liées à la surpopulation pendant le mois de juillet. Alors, on essaie de trouver des solutions – mais comme à chaque fois, ma fiche de poste s’apparente à une recherche de compromis permanent. Il y a des choses sur lesquelles on ne fait pas de compromis, mais sur tout le reste, on recherche des compromis et on fait chercher aux partenaires des compromis. Donc il y a des réflexions indépendamment du festival sur la vie nocturne, pour que, sous certaines règles respectées, on puisse peut-être accepter avec la maire des ouvertures un peu plus tardives sur certains établissements, mais comme on sait qu’on a quand même aussi quelques établissements qui sont des refuges pour les trafics, c’est cela aussi qui nous contraint à nous arrêter.

Visuel : ©DR

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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