
Standing ovation pour “Le Nid de cendres”
La dernière parisienne des treize heures du Nid de cendres avait lieu hier aux Amandiers. Un marathon théâtral accueilli par une standing ovation.
Dans ce conte théâtral (voir notre critique du texte ici) où se mêlent réalisme et merveilleux, le monde est une pomme coupée en deux, dont une partie serait un univers peuplé de princesses et de marraine-fées, l’autre un continent en pleine révolution. Deux êtres, la Princesse Anne, issue du premier, et l’enfant trouvé Gabriel, originaire du second, serait destiné·es à se retrouver, œuvrant ainsi à la réunion de ces deux hémisphères. Les personnages secondaires sont nombreux·ses, joué·es au plateau par neuf comédiens et huit comédiennes : tout, dans ce spectacle enchanté, est démesuré.
Des espaces antithétiques
L’enjeu principal du spectacle est de faire sentir au public cette différence a priori irréductible entre deux espaces antithétiques. Simon Falguières, son scénographe Emmanuel Clolus et ses costumières Clotilde Lerendu et Lucile Charvet emploient pour cela des décors et costumes nous plongeant dans des univers opposés. Les scènes continentales, qui relèvent d’une esthétique réaliste, nous entraînent vers Bergman et ses Scènes de la vie conjugale. De fait, les moments consacrés au monde de Gabriel se concentrent rapidement vers les tourments du couple formé par les parents qui l’ont abandonné, Jean et Julie. Côté merveilleux, les décors et costumes nous conduisent plutôt vers les illustrations des contes de Perrault et les peintures du XVIIe siècle, avec des robes à crinoline, des médecins en noir et des cous recouverts de fraises.
Les couleurs et lumières soulignent également cette opposition frontale : à l’univers gris des scènes bergmaniennes succède le blanc d’un moment emprunté à Raiponce ou à la légende de Philomèle et Procné. Le gris lui-même est duel, mat quand il illustre les déboires de Julie et Jean, brillant à la manière d’une robe couleur du temps quand il habille les princesses de contes de fées. Les néons et projecteurs de Léandre Gans, créateur lumières du spectacle, viennent découper les espaces ou au contraire les fondre dans un même univers.
Le refus de la mimesis
Passé maître dans l’art de composer des tableaux, Simon Falguières dirige ses acteurs et actrices de manière à mettre en valeur cette dimension visuelle. Ainsi faut-il comprendre l’importance des moments d’immobilité, où les acteurs et actrices réuni·es en chœurs se figent un long instant. Si ce travail sur la suspension est en partie lié à l’univers de La Belle au bois dormant et au travail sur le temps, thème majeur du spectacle, il n’en demeure pas moins un moyen habile de faire admirer les compositions scéniques.
La direction d’acteur·rices repose également sur un rejet très net du mimétique, y compris pour la partie continentale. Comme la scénographie, le jeu donne une nouvelle dimension au texte : il affiche volontiers sa part d’invention, rappelant que, ici comme là, tout cela n’est jamais que du théâtre, donc de l’imaginaire. Il participe également de l’humour de la pièce, avec sa part de comique gestuel qui offre, dans ces treize heures d’odyssée, une respiration bienvenue.
Une déclaration d’amour au théâtre
Car ce spectacle est avant tout une déclaration d’amour au théâtre et à l’imaginaire : c’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre l’exhibition de sa théâtralité, qu’elle soit gestuelle, textuelle – Shakespeare et Sophocle intervenant dans la pièce – ou scénographique – l’importance des “servantes” comme éléments de décor, qui mériterait à elle seule un développement. Le lieu choisi pour la représentation, un atelier de décor à l’existence menacée, prend alors une résonance particulière.
La représentation de samedi s’est achevée par une longue standing ovation : debout, le public applaudissait la réussite de cette épopée qui défie notre rapport au temps et milite pour le droit au rêve et à l’imaginaire. Peut-être le découpage des séquences entre chaque entracte nuit-il par instants à l’attention du public : sur les sept épisodes, quatre font montre d’une unité esthétique complète, nous menant intégralement du côté du conte ou de celui de la vie quotidienne. Un découpage qui permette à chaque monde d’apparaître dans chacune des parties aurait peut-être introduit une variété de ton et de rythme à même de lutter contre la torpeur postprandiale. Le Nid de cendres n’en est pas moins un moment unique dans une carrière de spectateur·rice, qui nous embarque pour un voyage au long cours dans un univers insoupçonné.
Si vous n’avez pas encore vu Le Nid de cendres
Rendez-vous le 3 juin au Théâtre de la Cité à Toulouse (11h-minuit).
Générique
Écriture et mise en scène : Simon Falguières
Avec : John Arnold, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frédéric Dockès, Elise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar
Scénographie : Emmanuel Clolus
Création lumière : Léandre Gans
Création sonore : Valentin Portron
Création costumes : Clotilde Lerendu – Lucile Charvet
Accessoiriste : Alice Delarue
Assistant mise en scène : Ludovic Lacroix
Collaboration artistique : Julie Peigné
Régie Générale : Clémentine Bollée – Morgane Bullet
Régie Plateau : Guillaume Rollinde – Nicolas Gérard
Régie Son : Charlotte Notter
Régie Lumière : Léandre Gans
Habillage : Lucile Charvet – Léa Bordin
Administration – Diffusion : Martin Kergourlay
Production : Justyne Leguy-Genest
Attachées de presse : Patricia Lopez – Carine Mangou