Que ma joie demeure : Giono in situ au Festival d’Avignon
Au cœur de la nuit jusqu’à midi, Clara Hédouin nous invite à une vraie randonnée de six heures, marquée par dix tableaux et un épilogue. Une immersion épuisante dans l’œuvre majeure de Jean Giono, à domicile.
La langue de Giono et la Provence sont synonymes. Elle fait souffler le mistral dans les platanes. L’idée est belle de s’emparer de la magnifique forêt de Barbentane, généralement inaccessible aux visiteurs à cause du risque immense d’incendie. C’est donc le deuxième spectacle en format long et en pleine nature auquel nous convie le festival. Cette fois-ci, le niveau monte. Quand, pour Paysages partagés, le départ se faisait l’après-midi, là, le rendez-vous est fixé à 5 heures du matin sur le parking de l’île Piot, situé à 20 minutes à pied de la porte de l’Oulle. Aucun transport n’est prévu pour les 150 spectateurs et spectatrices devant se rendre de nuit sur le parking. Votre nuit commence donc par une première marche.
Ensuite, dès le bus, nous sommes dans le spectacle. Une bande-son nous raconte comment ce territoire est celui des oliviers. Et, rapidement, nous allons nous en rendre compte. Le procédé est le suivant. Chaque séquence de théâtre est entrecoupée d’une marche pouvant atteindre une demi-heure, permettant de joindre la scène suivante.
Dans un cadre magnifique, les comédiens et les comédiennes surgissent du fond d’un champ. Les grands angles sont déments puisque l’espace de jeu dépasse tout cadre classique. Les 800 m² de la Cour d’honneur deviennent une fourmi !
Jade Fortineau, Pierre Giafferi, Hector Manuel, Clara Mayer, Hatice Ozer, Mickaël Pinelli arrivent donc face à nous pour nous raconter comment, sur un haut plateau, un jour, un vagabond, Bobbi, a changé leur vie, à tous et à toutes, en les sortant de leur neurasthénie ambiante. Bobbi, c’est le personnage qui voit les verres à moitié plein et qui sait lire les plantes, les oiseaux et l’eau-de-vie.
Sur le papier, la proposition est géniale, mais dans les faits, elle est difficile à réaliser. L’horaire de départ impose au public un manque de sommeil crucial, le terrain de marche est caillouteux et rempli d’herbes hautes, et quand le soleil se lève, les zones d’ombres ne sont pas toujours présentes pour protéger les spectateurs et spectatrices. Toutes ces conditions compliquées d’accès au spectacle mettent quelque peu le texte à distance.
Le jeu des comédiens et comédiennes est classique, avec un engouement pour le verbe et les mots. Giono ne cesse de décrire les insectes, les plantes et les oiseaux, il en va de même avec les outils. Les artistes s’éclatent à les nommer.
Sur le fond, Que ma joie demeure (1935) est un texte militant qui fait entendre que le collectif l’emporte toujours sur l’individu. Mais c’est aussi un texte qui rappelle que les humains ne peuvent pas sauver d’autres humains qui ne le désirent pas.
Il y a dans cette longue marche, des paysages à couper le souffle. Quand le soleil entre, comme s’il était un personnage, entre les arbres, c’est comme si la Provence toute entière s’invitait pour regarder Jourdan (Mickaël Pinelli, parfait) passer d’un « lépreux » à un amoureux des fleurs, juste « pour lui ». Toute la troupe se déploie dans ce théâtre de ventre, presque nu, où les décors sont essentiellement ceux offerts par la forêt et ses clairières.
La dramaturgie est d’ailleurs à saluer, les lieux des scènes sont tous très bien choisis pour faire vivre l’histoire. Il faut saluer également les hôtes et hôtesses d’accueil du festival présents de 5 heures à 12 h 30 pour nous diriger et nous rafraîchir.
À voir et à faire si vous êtes en forme, très bien chaussé, et en emportant avec vous de quoi vous nourrir sérieusement. Dans ces conditions, oui, vous accéderez à une grande joie face à du grand théâtre !
Jusqu’au 24 juillet
Les 13 et 14 avril au Théâtre Nanterre-Amandiers en hors les murs sur le site de Port-Royal des Champs dans les Yvelines.
Que ma joie demeure, Clara Hédouin, 2023 © Christophe Raynaud de Lage