Théâtre
Antigone in the Amazon, la tragédie documentée de Milo Rau au Festival d’Avignon

Antigone in the Amazon, la tragédie documentée de Milo Rau au Festival d’Avignon

18 July 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

 

 

L’immense metteur en scène suisse, longtemps directeur du NTGent et désormais à la tête du Festival de Vienne, applique à la lettre, au Festival d’Avignon, son iconique « Manifeste de Gand » avec son baroque et tellurique Antigone in the Amazon.

 

« On n’en est plus à représenter le monde. Il faut le changer. Le but n’est pas de peindre le réel, mais de rendre la représentation elle-même réelle. »

 

Dans la droite ligne de son Oreste à Mossoul qui transposait le mythe grec dans la ville irakienne, ce nouveau volet tragique s’attaque donc à Antigone dans un dialogue permanent entre la fiction et le réel, dans un « sur-théâtre » qui est la marque de fabrique du prolifique metteur en scène et cinéaste. 

Toujours pour rappel, selon le quatrième commandement du « Manifeste de Gand », « l’adaptation littérale des classiques sur scène est interdite. Si un texte – qu’il émane d’un livre, d’un film ou d’une pièce de théâtre – est utilisé, il ne peut dépasser plus de 20 % de la durée de la représentation ». C’est donc naturellement que cette Antigone n’est pas littéralement celle de Sophocle. Tous les points du manifeste sont respectés, comme toujours chez Milo Rau. Plusieurs langues sont parlées sur scène, une partie de la troupe est amatrice, etc.

 

« Il est des choses monstrueuses, mais rien n’est plus monstrueux que l’humain » (Sophocle)

 

La pièce commence par cette phrase, scandée à la guitare par Pablo Casella. Le sol est recouvert de terre. Frederico Araujo annonce la couleur. Il a le premier rôle car il paraît, c’est ce que disent les survivants du massacre du 17 avril 1996, qu’il ressemble fort à Aziel, l’une des 19 victimes. Ce jour-là, environ quinze cents personnes se trouvaient au campement « curva do S », dans l’Eldorado do Carajás, région sud-est de l’État de Pará, au nord du Brésil, dans le cadre d’une manifestation. Leur but était de marcher vers la capitale de l’État, Belém, pour obtenir les papiers nécessaires à l’installation de la ferme Macaxeira, alors occupée par 3 500 familles sans terre. Encore aujourd’hui, les criminels n’ont pas été jugés. Au plateau, Sara De Bosschere et Arne De Tremerie vont camper tous les rôles de la tragédie. Celle d’aujourd’hui et celle antique, fusionnées. 

Milo Rau et ses comédiens et comédiennes ont passé un mois à jouer Antigone avec les membres du Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST) : Gracinha Donato, Ailton Krenak, Célia Maracajá, Kay Sara, le chœur des militantes et militants du Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra.

 

 

« Il n’y a pas de mythologie »

 

La pièce devient alors du « sur-théâtre » documentaire, où les scènes sont jouées sur place et au Brésil, en vidéo, enregistrées. Exactement comme dans Everywoman où Ursina Lardi  donnait la parole à Helga Bedau. Malade au moment du tournage, morte au moment de l’exploitation du spectacle. Milo Rau est le roi des troubles dans la fiction. Lui seul arrive encore à nous faire croire qu’un corps est mort sur scène, pour de vrai. On tremble pour Antigone qui préfère ici aussi bafouer une loi injuste et en mourir plutôt que de laisser son frère pourrir. Polynice et Aziel, le jeune homme vraiment assassiné, ne font qu’un dans la cosmogonie Rau. La pièce est documentaire, elle nous informe sur ce massacre et sa postérité, sur la vie des survivants aujourd’hui. En même temps, elle délivre du grand théâtre. La direction est folle. Arne De Tremerie est un Hémon déchirant, et Sara De Bosschere un Créon troublant. Les vidéos, superbes, offrent des moments de jeu magistraux. L’Antigone côté brésilien est d’une puissance viscérale, et pour cause : elle, dit réellement non, elle.

Néanmoins, il faut ajouter que cette nouvelle production souffre de sa méthode même, désormais très connue et un peu fatiguée. Pour celle-ci, Milo Rau, qui d’ailleurs se montre beaucoup à l’écran, charge trop la tragédie quand d’habitude, il sait la laisser autonome, libre de nous atteindre par sa violence. Finalement, cette Antigone, en débordant un peu trop sur le fond et la forme, perd en intensité.

 

Jusqu’au 24 juillet.

Du 6 au 9 décembre à Paris – La Villette

 

Antigone in the Amazon , Milo Rau, 2023 © Christophe Raynaud de Lage

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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