Marilyne Fontaine est une grande Phèdre mise en scène par Robin Renucci
Pour sa dernière saison à la Criée de Marseille Macha Makeïeff a programmé Phèdre du nouveau directeur Robin Renucci. Celui-ci qui clôt une décennie aux Tréteaux de France poursuit son cycle Jean Racine ; et l’on vérifie que l’une comme l’autre ont en partage l’amour du théâtre populaire
L’endroit du manque
Lorsqu’il était directeur du CDN des Tréteaux de France, nous avions applaudi les mises en scène épurées des deux pièces de Racine : Andromaque et Bérénice. Robin Renucci est un idéaliste généreux, un militant et donc un rêveur. Il désire créer un théâtre populaire, un théâtre pour tous qui saurait se jouer en tout lieu, même en extérieur, d’où le choix de décors facilement transportables. Il est aussi un homme élégant et il y a une splendeur dans ses scénographies.
A La Criée de Marseille, nous prenons place dans la petite salle configurée en quadrifrontal pour Phèdre.
Et nous comprenons ce qui impulse tant de force à son geste. Robin Renucci invente une scène qui est l’endroit du vide, le lieu du manque au coeur duquel la troupe va nous offrir sur un plateau, le plateau de notre scène psychique, les vers magiques de Jean Racine. Il pose un presque rien : une simple estrade centrale faiblement marquetée qui figure le monde. Quatre colonnes lumineuses, départs de pentes légères vers l’estrade, seront les points cardinaux de ce monde clos. L’endroit ne connait pas de hors-champ, sauf celui qu’en chemin, nous comprendrons. Les loges à vue finissent de construire un huis clos extra-temporel ; à charge pour les comédiens de savoir résister au vide. Et la troupe merveilleuse fabrique, dans ce vertige, un moment unique, une inoubliable apnée du temps.
Le bain incestueux
L’intrigue est connue : Phèdre, fille de Minos et de Pasiphaé, est en proie à une douleur extrême : elle est follement amoureuse d’Hippolyte, le fils de Thésée dont elle est l’épouse. Son beau-fils a l’intention de quitter Trézène pour partir à la recherche de son père, disparu. En effet, on croit que Thésée est mort. Il fuit ainsi son amour pour Aricie, sœur des Pallantides, qui fait partie du clan ennemi. Après que Phèdre a avoué ses sentiments à Hippolyte, Thésée revient. Phèdre implore la mort pour expurger son crime tandis que sa nourrice Oenone fomente de faire passer Hippolyte pour le seul traître. Maudissant son fils qui l’aurait outragé, Thésée apprendra son innocence trop tard, de la bouche même de son épouse qui meurt, à ses pieds.
Phèdre c’est la tragédie de l’amour fou, de la malédiction, des unions interdites et de la pire d’entre elles : l’inceste. Les personnages sont soumis aux dieux qui laissent s’abattre sur eux la faute de leur lignée. Tandis que le drame se noue, Phèdre, Hippolyte et Thésée apostrophent les dieux, levant les yeux, jetant leurs bras vers le ciel pour implorer une clémence, pour réclamer justice. Le voici donc le hors champ caché dans la scénographie : l’Olympe au-dessus de nos têtes!
Marilyne Fontaine est une grande Phèdre
Nous sommes devant un autel ouvert vers le ciel, un autel percuté par les vers de Racine, à hauteur des hommes et de leurs désordres. Phèdre s’y consume d’un désir qui l’embrase. Ses colères sont âpres et désespérées ; elle sait que sa chute anticipe ses mots.
Toute la distribution témoigne d’un niveau d’excellence rare. On retrouve avec bonheur Solenn Goix (Elle incarnait une merveilleuse Bérénice mise en scène par Robin Renucci) et aussi son partenaire dans Andromaque, Patrick Palmero. Ulysse Robin incarne avec finesse un Hippolyte sacrificiel. Eugénie Pouillot émeut dans sa création de Aricie. Chani Sabaty tient son rôle avec brio. L’équation de la perfection se complète par Julien Tiphaine qui colonise l’espace en un puissant Thésée et qui bouleverse dans ses face à face inoubliables avec Maryline Fontaine (Phèdre) et Nadine Darmon (Œnone).
Marilyne Fontaine (« Elle incarnait Hermione dans Andromaque de Racine, mis en scène par Robin Renucci, Olga dans Les Trois Soeurs, de Tchekhov, mis en scène par Christian Benedetti, Varia dans La Cerisaie et Elena dans Oncle Vania) joue chaque nuance, chaque élan, chaque trouble. La comédienne maitrise chaque mot ; restitue chaque émotion.
Marilyne Fontaine est une grande Phèdre. Elle double l’intelligence du texte de celle de la psyché. Elle joue le désir, cette braise ardente de l’inceste, une braise qui la réduira en cendres. Elle joue autant la terreur réfléchie que l’instinct pulsionnel. Elle est spectaculaire. Elle est inoubliable et si cela ne suffisait pas, Nadine Darmon, formidable, joue Œnone au diapason et en harmonie.
Le moment est inoubliable.
Phèdre
De Jean Racine (1639-1699) Mise en scène Robin Renucci
Avec
Julien Tiphaine : THÉSÉE
Marilyne Fontaine : PHÈDRE
Ulysse Robin : HIPPOLYTE
Eugénie Pouillot : ARICIE
Nadine Darmon : OENONE
Patrick Palmero : THÉRAMÈNE
Chani Sabaty : ISMÈNE
Solenn Goix : PANOPE
PRODUCTION Tréteaux de France
CDN DIFFUSION La Criée – Théâtre national de Marseille
Durée 2h
La Criée – CDN de Marseille
du 3 au 10 mars 2023
Crédit Photos ©Sigrid Colomyès et Pierre Gondard
