Théâtre
Les fous du IV bis : une comédie dépressive à souhait

Les fous du IV bis : une comédie dépressive à souhait

21 June 2013 | PAR Camille Hispard

Les fous du IV Bis nous entraînent dans la douce folie d’une bande de patients déjantés qui marchent sur le fil de la démence tout en bousculant notre imaginaire grâce à un humour corrosif.

IMG_4781ù_1Cette pièce écrite par Sotha, véritable figure emblématique du Café de la Gare est une « comédie sérieuse, déconseillée aux mineurs dépressifs ». La messe est dite : à peine on s’installe sur les petites banquettes atypiques de ce café théâtre mythique, on est déjà embarqués dans une bulle surréaliste et résolument barrée.

Le public est plongé dans les méandres du Pavillon IV bis, soit l’aile bringuebalante d’un hôpital psychiatrique dans lequel on pratique la méthode Viterbo, une technique de psychothérapie pour le moins expérimentale. Le concept consiste à faire en sorte que les patients tentent de se soigner les uns les autres, sous la surveillance d’un médecin, assisté de son infirmière.

Dans ce pavillon lunaire errent trois patients azimutés, déconnectés plus ou moins volontairement d’une vie qui les bouffe. Le duc de Dresles (Jean-Philippe Azema), un ancien reporter-photographe qui a la fâcheuse habitude d’uriner là où ça lui chante ; Dulaurier (Fred Saurel), ex-nez de parfumerie, précieux et sentimentalisme loufoque et Durand (Frédéric Bonpart), un homme qui s’est isolé du monde, se trouvant bien trop moyen et cherchant à devenir un doux déjanté qui se prend pour un chat.

Des conversations véritablement beckettiennes s’engagent entre ces petits êtres en dérive qui font preuve d’une grande lucidité dans leur folie. Comme un grand jeu d’enfant, ils se passent leurs délires comme ils échangent leurs cartes d’animaux. Comme des petits trophées de vie qui les rendent uniques et qui met les projecteurs sur eux et leurs névroses. Le docteur Scott (Antoine Chain) tente tant bien que mal de calmer le jeu par une joute verbale aussi délirante que les élucubrations de ses patients.

La bulle de drôlerie et de fraicheur qu’apporte l’infirmière extravagante, Zoe Upman, divinement interprétée par l’excellente Manon Rony, fait tenir tout ce petit monde, détraqué et attachant.

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette pièce où l’on rit beaucoup avant tout, c’est qu’on ne sait plus où est la limite entre le soignant et le patient. Le fossé entre la folie et la déconnexion d’un monde qui ne nous suffit pas, ou plus, est particulièrement bien évoqué. Toutes ces âmes détruites se retrouvent dans ce cocon kafkaïen dans lequel ils semblent se protéger mutuellement. L’arrivée du médecin du travail en quête de repos, Sacha Dietman renforce cet aspect d’inversion des rôles et de basculement des vies.

Il se dégage de ces personnalités une tendresse et une fragilité bouleversantes qui déstabilisent un brin le spectateur. Pris à contre-pied entre des rires parfois graveleux et une émotion latente.

Sotha a écrit cette pièce en pensant à cette profonde et intense empreinte qu’a laissé Patrick Dewaere dans sa vie et dans le paysage artistique français après son suicide en 1982, distribuant « quelques facettes de sa personnalité à différents personnages, pour le fun ».

Le second degré est de mise dans cette pièce étonnante, mais le couperet tranchant et fatal de cet univers bancal n’est jamais loin et plane comme une ombre sordide et intense.

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Visuel (c) : affiche, photos Philippe Rony.

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Camille Hispard

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