Théâtre
La Révolution actuelle de Joël Pommerat est aux portes de Paris

La Révolution actuelle de Joël Pommerat est aux portes de Paris

11 November 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

La Bastille tombe, c’est à 20 minutes de Paris. A Versailles l’Assemblée Nationale est déjà en train de cultiver la reproduction des élites. Raconter, quasiment jour à jour les événements allant de janvier 1789 à mai 1790. En moins de deux ans la monarchie s’effondre, le clergé est vidé de ses richesses, la noblesse est une coquille vide. Pommerat cherche-t-il à faire un cours d’histoire ? Absolument pas. Ça ira (1) Fin de Louis est un chef-d’œuvre, sur le fond et la forme. Une leçon de démocratie et de scénographie.

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Deux questions sont posées ici : qu’est-ce-qu’une loi et qu’est-ce-qu’un peuple ? A la première, la réponse se trouve dans la rupture, d’une société inégalitaire où les droits sont partagés entre l’Eglise et la Noblesse et les devoirs n’appartiennent qu’au Tiers Etat, les États généraux viennent demander une juste répartition. A la seconde, et c’est le Premier Ministre du Roi qui le demande dès la première scène : “Mais de quel peuple parlez-vous ?”, la réponse se niche dans un mot complexe : la Nation.

Nous sommes aujourd’hui, bien installés dans la syntaxe de Joël Pommerat qui depuis la fin des années 90 cultive le noir cinématographique, les voix graves portées au micro dans un travail de lumière absolument graphique. Joël Pommerat est un magicien qui fait apparaître et disparaître des décors et des ambiances dans le plus grand secret. Contrairement à certains de ces précédents spectacles ( Au Monde, Les Marchands…) il ne nous plonge pas dans l’obscurité la plus totale mais choisit de nous aveugler comme dans un concert de rock. Et, contrairement à des dispositifs bi-frontaux ou circulaires qu’il affectionne (Cercle/Fictions), ici, il prend la superbe liberté de faire de toute la salle (plateau et gradins) sa scène de jeu. Quatorze comédiens que l’on connait bien pour certains (Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Bogdan Zamfir, Gérard Potier), et quelques nouveaux (Éric Feldman, Simon Verjans, Yvain Juillard, Anthony Moreau) sont accompagnés d’une vingtaine de figurants qui dans la salle sont le brouhaha de l’Assemblée Nationale. Il y a du bordel ici, des cris et des insultes, des noms d’oiseaux sont lancés. Pas de doute, nous sommes à l’Assemblée. Mais en quelle année au juste ? Pommerat s’amuse à jouer les caricaturistes et l’on reconnait Christiane Taubira dans la députée enflammée Lefranc, Nadine Morano dans la franche députée Camus, Ségolène Royale dans la députée coincée Versan de Faillie. Ils sont comme toujours vêtus en sombre. Pommerat ne parle que du social. Il n’a toujours parlé que de ça. En 2011 il nous entraînait dans les hôtels sordides des VRP de province et ces députés-là, qui apprennent à parler politique nous rappellent ces autres hommes en gris au discours prémâché.

La fresque (4H20 de spectacle) est somptueuse, riche à foison sans quitter la noirceur. On sourit peu ici, sauf quand Le Roi entre sur Vangélis, cela le ridiculise, lui qui croit que “ça ira”, prêt à céder sur tout (les privilèges, Versailles…) pour que justement, ça aille. C’est une idée folle que de faire un spectacle sur la Révolution française et c’est une idée géniale de faire du passé une fiction actuelle. Il a raison, et on citerait presque Hegel sur les non-leçons de l’Histoire. Un événement ne peut se comprendre que dans son contexte, mais il ne sait être lu que par des yeux vivants. Regarder la Révolution de 1789 en 2015 alors que le FN est aux portes du pouvoir donne une radicale envie de prendre les armes et de se souvenir que les députés réunis en État généraux ont désiré “fonder une société dont le but est le bonheur”. Pommerat appuie sur nos douleurs, sur nos rêves bafoués et sur la tristesse de la politique qui oublie ses missions. Il rafraîchi aussi la mémoire des non-historiens en rappelant que la prise de la Bastille se passa dans un bain de sang et dans la famine, balayant une vision qui reste romantique de l’événement. Il dirige des comédiens avec maestria, ne perdant jamais, durant ces quatre heures, le rythme fou qui fut celle de cette année 1789.

Visuel : © Elizabeth Carecchio

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