Théâtre
La Cerisaie orageuse de Daniel Jeanneteau au T2G

La Cerisaie orageuse de Daniel Jeanneteau au T2G

15 November 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

La Cerisaie est au théâtre ce que Le Sacre du printemps est à la danse : un passage obligé. Tous les metteurs en scène et metteuses en scène s’y frottent un jour. La question n’est pas de savoir si l’histoire est bien ou non mais quel nouveau point de vue est-il encore possible de donner à la dernière œuvre d’Anton Tchekhov.

Le truc avec La Cerisaie, comme avec Le Titanic, c’est qu’on connaît tous et toutes la fin. Mais si, rappelez-vous : la maison où l’élégante Ranevskaya (Haruyo Hayama) et son frère (Kazunori Abe) ont passé leur enfance est vendue et rasée pour construire des résidences hôtelières. Ainsi, en 1904, Tchekhov met en scène la fin du monde aristocratique et l’entrée triomphante d’une classe d’entrepreneurs. Lui-même mourra quelques mois plus tard. Tout l’enjeu pour les metteurs en scène et metteuses en scène nombreux et nombreuses à avoir mis en scène ce tube est donc d’en donner une lecture. La pièce a été écrite comme une comédie et pourtant, Jeanneteau, dans son adaptation, se place du côté du drame, celui de l’incompréhension des mondes.

Kazunori Abe, Solène Arbel, Axel Bogousslavsky/Stéphanie Béghain, Yuya Daidomumon, Aurélien Estager, Haruyo Hayama, Yukio Kato, Katsuhiko Konagaya, Nathalie Kousnetzoff, Yoneji Ouchi, Philippe Smith, Sayaka Watanabe, Miyuki Yamamoto évoluent sur l’élégant plateau pensé par Jeanneteau. Comme toujours chez ce drogué du son et de la lumière, ces deux éléments sont très soignés. La lumière est créée par Juliette Besançon et le son par Isabelle Surel. Le décor se compose presque uniquement d’un ciel en vidéo qui noircit au fur et à mesure que la Cerisaie va être vendue.

La différence de jeu entre les Français et les Japonais ajoute à l’idée d’un monde d’avant prêt à être englouti. Le jeu est caricatural des deux côtés. Les Français surjouent l’articulation, comme dans une pièce dirigée par Nordey, pour donner à leur théâtre une sensation figée. Il en va de même du côté japonais où les rires factices viennent cacher le drame. Car oui, il y a du drame à tous les étages. Lioubov a perdu son fils noyé dans ce domaine, qui doit être vendu le 22 août prochain. Cela équivaut à une double disparition.

Les murs comptent, ils portent les fantômes auxquels cette famille tient. Mais voilà, c’est insoluble, le mobilier est fragile comme des petits fils de fer, rien ne tient plus, tout n’est que respiration, voilage et nuages. Les nuages qui noircissent tout au long du spectacle ont été filmés au Havre et au Japon, et ils circulent à contre-courant, à contre-sens, exactement comme cette famille qui veut respecter la hiérarchie bourgeoise encore vive en Russie à la fin du XIXe. Et pourtant, le monde moderne est là, criant, avec ses valises à quatre roues prêtes à résister à toutes les soutes à bagages des Airbus. On le sait, c’est Lopakhine, le fils et petit-fils d’esclave qui aura les clés, qui dira “La Cerisaie est à moi”.

Dans sa mise en scène, Jeanneteau éprouve volontairement le temps qui passe dans un premier acte qui nous berce avant de grimper en puissance et de pointer du doigt que l’idée de modernité est toujours devant nous, quelle que soit l’époque, et que son corollaire, le passé, lui aussi est permanent.

Du 10 au 28 novembre 2022 au Théâtre de Gennevilliers. Lundi, jeudi, vendredi à 20H, samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche mardi et mercredi.

Visuel : © Jean-Louis Fernandez

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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