
Kurze Stücke de VA Wölfl : sous les paillettes, les carabines
Avec « Kurze Stücke » présenté au théâtre de la Ville, l’artiste allemand VA Wölfl, à la fois peintre, photographe, plasticien, chorégraphe et directeur du Neuer Tanz, réussit le tour de force franchement gonflé de perdre en deux heures les trois quarts de la grande salle et de séduire les dernières poignées de spectateurs restants absolument conquis par l’étonnement permanent que suscite son installation plastique, sonore et chorégraphique incroyablement déroutante.
Des tubes d’Aznavour et de Sinatra résonnent tandis que les artistes en costumes pailletés font leur entrée du fond de la salle du théâtre. Ils descendent le grand escalier dans la tradition du music-hall. Les corps apprêtés de leur habit de lumière ne sont qu’illusion. Sur le plateau, ils s’apparentent davantage à des machines déglinguées, aux mouvements lents, inertes et répétitifs. Ombres irradiantes, fantoches du crépuscule, les danseurs s’inscrivent dans l’espace et le temps dilaté à l’extrême, impassibles et immuables, pour livrer un spectacle quasiment imperceptible et pourtant fascinant qui procure autant de fous rires et de jubilation que d’agacement et de saturation. Est-ce à prendre avec légèreté ou gravité ? En ouverture, des balles de tennis par centaine sont catapultées de façon aléatoire sur scène et dans les premiers rangs. Le parquet de bal est un tapis de fusils. Chacune des armes déposées sur un cadran tourne dans le sens des aiguilles d’une montre et matérialise l’horloge du temps qui passe dans l’inaction et la propension quotidienne à l’hostilité et la destruction. C’est saisissant.
Va Wölfl broie radicalement tout ce qui pourrait faire advenir ce qu’on nomme conventionnellement un spectacle, et ce, avec un art de la provocation qui est de taille mais sans agressivité. Il impose une pièce en apparence invariablement étale qui, par son recours à l’immobilisme, au silence, au non visible, se dissout, se dérobe pour finalement mieux se livrer à condition d’aller vers elle. Quelques secousses de riffs et réverbérations assourdissantes de guitares électriques dynamitent une forme parfaitement maîtrisée mais peu aimable voire hermétique. La scénographie et les lumières sont splendides. Tout est fait avec une brillante intelligence et un humour malicieux. Cela perturbe forcément le public confronté à un univers singulier qui va à l’encontre de toutes ses habitudes en matière de représentation. Face à un vertigineux vide, les spectateurs décontenancés toussent bruyamment pour faire entendre leur désapprobation ou leur ennui et font claquer les sièges en quittant massivement la salle de spectacle. Pourtant, le théâtre a bien eu lieu. Sans se faire voir, il s’est imposé dans l’hostilité parfaitement recherchée car elle fait partie du spectacle qui se distingue par sa prise de risque maximale. Il y a tant de spectacles dont le trop plein cache le vide… celui de Va Wölfl est l’exact opposé : le rien s’y affiche pleinement assumé et bourré de sens. On peut y lire avec une totale liberté une métaphore guerrière et chaotique d’une forme de désenchantement généralisé, d’une prise de pouvoir totalitaire ou complètement autre chose.
L’expérience est singulière et il faut la vivre en restant jusqu’au bout. Car ce qu’il y a de plus beau et de plus jouissif dans cette folle performance se trouve après la fin qui n’en est pas une…
Crédit photo © VA Wölfl
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One thought on “Kurze Stücke de VA Wölfl : sous les paillettes, les carabines”
Commentaire(s)
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Manel
Merci, Christophe, pour vos sensibles et intélligents comentaires. J’ai joui toute la performance jusqu’au bout, mais je l’ai rejouie avec la lecture de vos apréciations, très bien saisies et parfaitement exprimées.