Théâtre
Juliette Binoche est une Mademoiselle Julie irradiante et éperdue

Juliette Binoche est une Mademoiselle Julie irradiante et éperdue

22 May 2012 | PAR Christophe Candoni

C’est un rôle en or qu’a offert Frédéric Fisbach à l’actrice Juliette Binoche pour son retour au théâtre, celui de « Mademoiselle Julie » de Strinberg qu’elle incarne avec fébrilité et plénitude. Créé l’été dernier au Festival d’Avignon, le spectacle se donne actuellement au Théâtre de l’Odéon. Juliette Binoche s’y était déjà produite il y a 25 ans dans “La Mouette” de Tchekhov. Depuis, courtisée par le cinéma, elle a embrasé quelques rares aventures théâtrales mais uniquement à l’étranger. Cette présence parcimonieuse sur les planches aura été la garantie d’un retour attendu et accompli avec envie et passion. C’est en tout cas ce qu’on perçoit dans son jeu vibrant et émouvant.

L’immense dramaturge suédois qu’est Strindberg colore toute son œuvre d’une tonalité nordique. C’est aussi le point de départ des lumières et de la scénographie, réalisées par Laurent P. Berger, où la couleur blanche domine et glace l’espace peuplé de troncs d’arbres maigres et nus comme un écho au grand froid d’où vient la pièce. Ce décor à la beauté plastique saisissante cloisonne Mademoiselle Julie dans une boîte de verre, un intérieur dans lequel se déploie à la fois un réalisme hyper contemporain et un onirisme fantasmé. Une baie vitrée coulissante sépare le salon d’un loft design et une piste de danse, lointaine et floue, où se déhanchent les invités de la fête sur des chansons pop-rocks. C’est la nuit de la Saint-Jean, autant dire la nuit de tous les possibles. Si bien que la maîtresse de maison a envie de faire l’amour avec son domestique sans en être pour autant éprise. Elle veut s’amuser et par là-même déclarer son anticonformisme aux règles étriquées qui appartiennent à son rang aristocratique. Quand elle paraît au bal, la somptueuse Juliette Binoche dans une longue robe dorée, est déchaînée, déraisonnable, sans manière ni distinction. Elle danse, allume, fait la folle, tandis que Christine (Bénédicte Cerutti) la cuisinière, sage petite femme de Jean et prêcheuse de vertu, s’éteint une fois son travail accompli. Entre les deux femmes, fiancé de l’une et amant de l’autre, Nicolas Bouchaud joue le rôle de Jean et captive car il n’en fait pas quelqu’un de nécessairement sympathique mais plutôt droit dans ses bottes, lucide, conscient de la dangerosité d’un petit jeu de séduction qu’il goûte comme une revanche sociale.

Sous l’effet de la boisson et de la fatigue, Mademoiselle Julie se livre, dévoile les secrets de sa vie, de sa naissance. Et là, Juliette Binoche, jamais artificielle, est d’une sincérité déchirante. Son interprétation sensible explore et creuse les failles, les déchirures du personnage, ses rêves d’évasion et de liberté. Elle réclame de l’affection et de l’aide comme une petite fille. Mademoiselle Julie est ici bien plus fragile que perverse, vraiment en souffrance, car son désir ne se réduit pas à consommer un acte sexuel avec son valet. Il est plus grand, se veut libérateur, transgressif, émancipateur mais demeure insatisfait, irrésolu. Alors, elle échoue dans sa quête, elle chute, c’est la dernière image du spectacle, tout en forçant l’admiration.

Photo Le DL / Patrick ROUX

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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