
Thanks to my eyes, Joël Pommerat fait son entrée à l’Opera
Un Opéra d’Oscar Blanchi sur un livret de Joël Pommerat. L’étrange et alléchante nouvelle avait fait sensation en ouvrant le festival lyrique d’Aix en Provence. C’est dans le temple de la création contemporaine, le Théâtre de Gennevilliers que Thanks to my eyes fait un stop pour six jours trop courts. 1h15 d’une intensité rare nous faisant plonger dans un parcours initiatique tant artistique que familial.
Aymar (le contre ténor Hagen Matzeit) est le fils d’un homme, (le baryton basse Brian Bannatyne-scott). Le père a, pour son fils tracé une route faite d’un costume rouge pailleté : il sera comédien tendance comique, comme lui. Ce passage de relais, le fils unique le rejette, se sentant happé par la tragédie et la mélancolie. Âme vieillissante, sa maman, Anne Rotger quitte ici son habit de Petit Chaperon Rouge pour glisser vers la perte d’esprit enfermant sa progéniture dans une tension entre son père et ses rêves. Les pensées nocturnes du jeune homme prennent la forme de deux soprani Keren Motseri et Flur Wyn venant lui dire, fantasme ou réalité que son talent n’est pas celui d’un amuseur.
L’ambiance est grise, portée par la musique puissante, aux accents electro accoustiques, voix et instruments amplifiés, le tout étant caché à l’exception des mains jaillissantes de Franck Ollu. On entend des violons, un accordéon, des sons indescriptibles, métalliques. La note est résolument contemporaine puisant dans Boulez et traduisant littéralement les mots et l’ambiance emblématiques de Pommerat.
La lumière d’Eric Soyer trouve ici un aboutissement total dans une scène d’éclipse solaire glaçante dans un décor au plateau en pente faisant la part belle au noir théâtral. Les changements de scènes se font comme toujours dans les spectacles du metteur en scène de façon radicale sans aucune transition. On passe de la chambre de la mère au jardin sur les hauteurs de la ville d’où le fils observe sa vie se construire et lui appartenir.
Au départ de cet opéra, il y a une pièce de Pommerat écrite en 2002, Grâce à mes yeux. Ici, il raccourcit, gardant comme il dit “le tronc”. Le résultat est d’une intensité oppressante ne laissant aucune respiration possible, du moins le croit-on jusqu’à la libération finale. The Show must go on quelque soient les entraves et les handicaps que la vie impose. Dans ce spectacles aux niveaux de lectures nombreux : crise familiale, émancipation, mythomanie… c’est bien à une plongée dans l’être humain dans ce qu’il a de plus animal que Pommerat nous invite, utilisant le genre lyrique dans des terres totalement vierges. Splendide.
Visuel : (c) Elisabeth Carecchio