
Résurrection du Palais enchanté de Rossi à Nancy
L’Opéra national de Lorraine ressuscite Le palais enchantéde Rossi, avec un spectacle donné à huis clos à Dijon en décembre dernier et diffusé en streaming. La production foisonnante réglée par Fabrice Murgia et dirigée par Leonardo García Alarcón, rencontre enfin le public.
[rating=4]
Le chef suisse et argentin Leonardo García Alarcón, qui étudia entre autres auprès de Gabriel Garrido, a renouvelé l’approche du répertoire du seicento, en particulier en défendant des œuvres méconnues de compositeurs tels que Cavalli ou Falvetti. Son insatiable curiosité l’amène parfois à dénicher de véritables trésors oubliés, à l’instar du Palais enchanté de Rossi. Si le compositeur est connu pour avoir écrit, en 1647 avec Orfeo, le premier opéra italien pour la cour de France, à l’instigation de Mazarin au moment de la régence d’Anne d’Autriche, il fut d’abord au service de la papauté et reçoit six ans auparavant la commande de son premier opus lyrique par le cardinal Rospigliosi – futur pape Clément IX. Il palazzo incantato s’inspire d’épisodes du poème de L’Arioste, Roland furieux, pour un spectacle fastueux aux tonalités paraboliques, où les illusions de l’Amour entrent en conflit avec les valeurs héroïques et guerrières.
Si la création au Palazzo Barberini en 1642 avait duré sept heures, cette résurrection confiée à Fabrice Murgia, entend condenser dans un format plus conforme aux exigences et moyens d’aujourd’hui l’essentiel d’une inspiration foisonnante. La multiplicité des personnages et des péripéties parallèles, variations autour des errances du cœur manipulées par Atlante dans son repaire labyrinthique, est inscrite dans un dispositif rotatif, dessiné par Vincent Lemaire et doublé en sa partie supérieure, promontoire du mage, de focales en projections vidéos sur les visages et actions de l’étage inférieur. Le principe, habile, tourne cependant rapidement au procédé, et peut lasser par l’invasion de l’image pixelisée réglée par Giacinto Caponio, qui module, avec Emily Brassier, les lumières. Il ne fonctionne pas pour autant comme un principe unique, et cet avatar de palais où se déclinent les divers lieux de l’attente contemporaine, s’évanouit pour faire place à un espace décanté, d’abord galbé de pénombres, avant la clarté d’un finale réconciliateur où ne manquent pas les mouvements chorégraphiques, en synchronie avec le monde actuel, que ne heurte point la théâtralité des costumes imaginés par Clara Peluffo Valentini.
Ce divertissement qui tente de traduire la profusion spectaculaire des représentations romaines au milieu du dix-septième siècle en cédant parfois à l’agitation, est servie par un plateau engagé et chamarré, pour répondre à la richesse des caractères de l’ouvrage. Victor Sicard fait valoir un Orlando solide et sensible aux côtés de l’Angelica frémissante d’Arianna Vendittelli. Fabio Trümpy résume un Ruggiero inquiet à la recherche de sa Bradamante, campée avec conviction par Deanna Breiwick, laquelle assume par ailleurs les répliques de la Peinture. Mark Milhofer n’ignore pas les accents frustres d’Atlante. Lucía Martín-Cartón ne dépare nullement en Olympia et Musique. On reconnaît la fraîcheur sensuelle de Mariana Flores en Marfisa, Magie et Doralice. Grigory Soloviov impose sa robustesse en Gigante, Sacripante et Gradasso, qui contraste avec la tessiture du contre-ténor Kacper Szel??ek en Prasildo et Nain. André Lacerda se distingue en Alceste, quand Valerio Contaldo s’acquitte des interventions de Ferrau et Astolfo. On ne mésestimera pas les apparitions de Gwendoline Blondeel en Fiordiligi et Poésie, ni celle du Mandricardo d’Alexander Miminoshvili ou encore des effectifs du Choeur de l’Opéra de Dijon et du Choeur de chambre de Namur, préparés par Anass Ismat.
A la tête de son ensemble Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón fait rayonner les saveurs et les couleurs d’une partition remarquable, tant dans l’invention mélodique et harmonique que la richesse de l’écriture orchestrale, jusque dans un continu fourni, au discours généreux. Rhétorique et chatoiements instrumentaux se révèlent à la mesure de la juste admiration communicative du chef pour ce Palais enchanté, que l’on espère ne pas revenir à la torpeur des rayonnages de bibliothèques. Une résurrection musicale majeure du Baroque de ces dernières années.
Gilles Charlassier
Le palais enchanté, Rossi, mise en scène : Fabrice Murgia, Opéra national de Lorraine, du 3 au 6 octobre 2021
© Gilles Abegg – Opéra de Dijon